Rente du deuxième pilier pour un enfant devenu majeur : qui peut l’encaisser ?

La mère invalide d’une fille née en 1993 reçoit sa pension d’invalidité de la caisse de pension Swisscanto, à laquelle s’ajoute une rente d’enfant (représentant en général 20 % de la rente de la mère). Entre les 20 et 22 ans de l’enfant, la Caisse paie la rente de cette fille, alors en formation, à la mère.

La fille fait valoir que, pour cette période où elle était majeure, la rente aurait dû lui être versée à elle, et non à sa mère. Swisscanto refuse, faute d’accord de la mère.

La fille attaque alors Swisscanto pour obtenir que la rente d’enfant majeure en formation, durant ces deux ans, lui soit versée directement. Comme c’est à tort, selon elle, que la rente d’enfant majeure d’invalide a été versée à sa mère, elle estime que Swisscanto doit payer une seconde fois à elle-même, quitte à ce que cette caisse de pensions agisse ensuite contre la mère pour tenter de récupérer la somme payée à tort à celle-ci.

Le Tribunal cantonal de Zurich lui donne raison : il faut appliquer par analogie les règles du 1er pilier (art. 71ter al. 3 RAVS), selon lesquelles la rente d’enfant majeur doit en principe être payée à l’enfant.

 Art. 71ter1Versement des rentes pour enfants2

1 Lorsque les parents de l’enfant ne sont pas ou plus mariés ou qu’ils vivent séparés, la rente pour enfant est versée sur demande au parent qui n’est pas titulaire de la rente principale si celui-ci détient l’autorité parentale sur l’enfant avec lequel il vit. Toute décision contraire du juge civil ou de l’autorité tutélaire est réservée.

2 L’al. 1 est également applicable au paiement rétroactif des rentes pour enfant. Si le parent titulaire de la rente principale s’est acquitté de son obligation d’entretien vis-à-vis de son enfant, il a droit au paiement rétroactif des rentes jusqu’à concurrence des contributions mensuelles qu’il a fournies.

3 La majorité de l’enfant ne modifie pas le mode de versement appliqué jusque-là, sauf si l’enfant majeur demande que la rente pour enfant lui soit versée directement. Toute décision contraire du juge civil ou de l’autorité tutélaire est réservée. 3

Donc Swisscanto n’aurait pas dû payer ce supplément à la mère, et doit donc payer une seconde fois à l’enfant.

Swisscanto recourt au Tribunal fédéral (TF), qui décide de rendre un arrêt de principe pour le 2ème pilier.

Cette autorité constate une lacune dans les textes régissant le deuxième pilier, en ce qui concerne le paiement de la rente d’enfant (accessoire, donc, à la rente du parent) directement à l’enfant majeur. Toute la question est : s’agit-il d’une »lacune voulue« (autrement dit : le Parlement a voulu ne pas reprendre les principes du 1er pilier sur le versement des rentes pour enfant) ou d’une lacune proprement dite (le Parlement a en quelque sorte omis involontairement de traiter la question)?

Le TF, après analyse des travaux législatifs relatifs à l’art. 25 LPP et de la doctrine, estime que la lacune est voulue : c’est certes implicitement, mais volontairement qu’en adoptant cette norme, aucune référence allant dans le sens d’une application analogique des règles du 1er pilier n’a été faite.

  Art. 25 Rente pour enfant

1 Les bénéficiaires d’une rente d’invalidité ont droit à une rente complémentaire pour chaque enfant qui, à leur décès, aurait droit à une rente d’orphelin; le montant de la rente équivaut à celui de la rente d’orphelin. La rente pour enfant est calculée selon les mêmes règles que la rente d’invalidité.

2 Le droit à une rente pour enfant existant au moment de l’introduction d’une procédure de divorce n’est pas touché par le partage de la prévoyance professionnelle au sens des art. 124 et 124a CC1.2

Dès lors, et en l’absence de règles spécifiques sur le versement des rentes d’enfant, que ce soit à cet art. 25 LPP ou  dans les règlements de Swisscanto , celles du 2ème pilier doivent être versées au parent.

Le recours de Swisscanto est admis et l’action de la fille est rejetée.

ATF 9C_615/2019 du 3.septembre 2020 destiné à publication.

 

Notre commentaire :

Nous trouvons la motivation un peu courte : certes les rentes d’enfants de la prévoyance professionnelle n’ont été introduites qu’au cours de la procédure parlementaire, mais cela ne prouve en rien que ce Parlement a volontairement omis de traiter la question du versement de ladite rente, et qu’ainsi les juges auraient les mains liées. Il nous apparaît bien plutôt que personne, au cours des travaux législatifs, n’a pensé à reprendre les principes du 1er pilier, et qu’il s’agit donc d’une lacune involontaire. Quoi qu’il en soit, cet arrêt – et le fait qu’il sera publié – constitue à nos yeux une invitation au Parlement de reprendre la question, pour faciliter l’autonomie des enfants majeurs.

 

-commentaires (0)-

Publier un commentaire