Quand le suicide est-il un accident LAA ?

M. X., comptable et père de famille, se sent anxieux et dépressif le 16 mars 2006. Son médecin traitant lui prescrit 2 médicaments, Paroxétine et Lexotanil. Le lendemain matin il se suicide d’une arme à feu. Sa famille estime qu’au moment de se donner la mort, il était en état de totale incapacité, de sorte que selon la jurisprudence il n’ a pas eu d’intention suicidaire, ce qui permet de revendiquer des prestations pour survivants, à charge de l’assureur accidents LAA.

Un premier jugement approuve le refus de la Suva de prester. Les survivants font recours au Tribunal fédéral (TF), qui leur donne provisoirement raison et exige une expertise (8C_916/2011 du 8 janvier 2015).

Se basant sur cette expertise, la cour cantonale condamne la Suva à fournir ses prestations de survivants (arrêt du 28 septembre 2015). Celle-ci recourt toutefois au TF, qui, cette fois-ci, admet le recours de la Suva et exige une nouvelle expertise pharmacologique psychiatrique (8C_812/2015 du 20.7.2016).

La cour cantonale organise cette nouvelle expertise, et, cette fois-ci, rejette le recours de la famille : la Suva ne doit rien payer. La famille recourt au TF, qui se penche ainsi sur ce cas pour la troisième fois…

Le TF rappelle ses exigences sévères en matière de suicide, pour que celui-ci soit considéré comme un accident. Il dit : « En principe, l’acte doit être insensé ; un simple geste disproportionné, au cours duquel le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation dans un moment de dépression ou de désespoir ne suffit pas ».

Lorsque des médicaments sont en jeu, il faut que ce soit l’administration de ces médicaments qui, selon la règle de la vraisemblance prépondérante (plus de 50 %) ait provoqué l’incapacité de discernement. Les données extraites d’études théoriques et scientifiques ne suffisent pas : elles doivent être appliquées au cas psychiatrique en cause. Voici ce qui résulte de l’ultime expertise consensuelle de pharmacologie et de psychiatrie : la séquence des événements s’était déroulée très rapidement : l’intervalle de temps entre l’absorption du médicament et le passage à l’acte était court d’un point de vue clinique. Il n’y avait pas de pathologie associée à une augmentation de l’impulsivité qui pouvait prédisposer à un passage à l’acte abrupt. Les traits de sa personnalité montraient certes une tendance à une organisation obsessionnelle, ce qui ne va précisément pas dans le sens d’une réaction de stress susceptibles de conduire à ce drame. L’origine médicamenteuse de cette poussée suicidaire est possible mais n’atteint pas le degré de vraisemblance prépondérante d’au moins 50 %.

Le TF ajoute qu’il est difficile, plusieurs années après la mort, de conclure à une pathologie psychique. L’état dépressif en lui-même ne suffit pas puisqu’il constitue à lui seul un facteur de risque de passage à l’acte. Il n’est pas rare d’ailleurs qu’un suicide apparaisse aux yeux des membres de la famille ou des proches comme un événement totalement imprévisible et inexplicable (avec référence). Par conséquent, l’assuré X ne peut être considéré comme ayant été totalement privé de sa capacité de discernement. L’action de la famille doit être rejetée.

ATF 8C_783/2018 du 4 avril 2019

Notre commentaire :

Une fois de plus, on voit la difficulté d’obtenir des prestations d’assurance-accident après un suicide. En effet, la famille doit démontrer l’absence de discernement. La distinction entre un suicide-bilan (c’est-à-dire un suicide prémédité, supposant précisément un état conscient, le « bilan » étant le constat de l’échec d’une vie) et un suicide-raptus (le sujet se suicide sur une impulsion rapide et irrésistible) n’est plus déterminante. Le mieux — si l’on peut dire — est que le suicide survienne au cours d’une maladie psychique propre à ôter la capacité de discernement, ou alors dans un état où des médicaments ou des drogues ont été absorbées en quantité suffisante pour enlever la conscience, mais il faut encore dans ce cas que cette absorption n’ait pas été faite dans un état de pleine conscience… Cela dit, on voit le poids énorme des expertises – alors que, par la force des choses, elles apprécient une situation passée, et le caractère très difficile, donc le plus souvent discutable, de l’admission ou non, par les experts, du caractère prépondérant de l’hypothèse d’absence de volonté suicidaire.  Voir aussi d’autres arrêts et commentaires en recherchant, ici à droite, avec le mot « suicide ».

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