La sexualité des femmes compte autant que celle des hommes…

À la suite d’une erreur médicale, une femme portugaise d’une cinquantaine d’années souffrait de graves douleurs, d’une incontinence et de difficultés en matière de relations sexuelles. Elle obtient cependant, devant les juridictions portugaises, une indemnité de tort moral moins importante que si elle avait été un homme et elle se plaint dès lors, à Strasbourg, d’une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Devant la Cour européenne, la requérante soutenait que l’arrêt rendu par la Cour administrative suprême dans son affaire opérait à son égard une discrimination fondée sur le sexe et l’âge. Elle se plaignait en particulier des motifs pour lesquels cette juridiction avait réduit le montant des dommages et intérêts qui lui avaient été accordés, méconnaissant l’importance que revêtait pour elle sa vie sexuelle de femme.

En droit : Article 14 combiné avec l’article 8 : La progression vers l’égalité des sexes est un but important des États membres du Conseil de l’Europe et seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement dans ce domaine. En particulier, des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe. Les stéréotypes véhiculés à l’égard de certains groupes sociaux sont critiquables en ce qu’ils interdisent une appréciation individuelle des capacités et des besoins de leurs membres.

Si la Cour administrative suprême a confirmé les conclusions des juges de première instance, elle a considéré que l’intervention dont la requérante avait fait l’objet avait aggravé les souffrances physiques et psychologiques de l’intéressée, et non que celles-ci résultaient exclusivement de la lésion subie par elle lors de l’intervention en question. La Cour administrative suprême a relevé que la requérante « était déjà âgée de 50 ans et mère de deux enfants à la date de l’opération, âge où la sexualité n’a[vait] plus autant d’importance, laquelle diminue avec l’âge », et qu’elle n’ « a[vait] vraisemblablement à s’occuper que de son mari » compte tenu de l’âge de ses enfants.

L’enjeu du litige ne portait pas sur des considérations d’âge ou de sexe en tant que telles, mais plutôt sur l’hypothèse selon laquelle la sexualité n’a pas autant d’importance pour une quinquagénaire mère de deux enfants que pour une femme plus jeune. Pareille hypothèse reflète une conception traditionnelle de la sexualité féminine voulant que celle-ci soit principalement liée à la procréation et méconnaissant son importance physique et psychologique pour l’épanouissement de la femme en tant qu’individu. Outre son caractère moralisateur, cette hypothèse ne tient pas compte d’autres aspects de la sexualité féminine qui concernaient la requérante. En d’autres termes, la Cour administrative suprême a formulé une hypothèse générale sans en vérifier la validité dans l’affaire dont elle était saisie.

Telle qu’elle se trouve formulée dans l’arrêt de la Cour administrative suprême, cette hypothèse ne peut passer pour une observation à la rédaction maladroite. La prise en considération de l’âge et du sexe de la requérante semble avoir constitué un élément décisif dans la décision adoptée et opère une différence de traitement fondée sur ces motifs.

La Cour relève que la Cour suprême de justice a suivi une approche bien différente dans deux arrêts rendus en 2008 et 2014 concernant des actions formées pour faute médicale par deux patients de sexe masculin âgés de 55 et de 59 ans respectivement. Dans les arrêts en question, la Cour suprême de justice avait jugé que le fait que ces deux hommes ne pouvaient plus avoir de relations sexuelles normales avait affecté leur estime de soi et leur avait causé, pour l’un, un « choc psychologique considérable » et, pour l’autre, un « choc psychologique grave ». Pour apprécier le montant des dommages et intérêts à leur allouer, la haute juridiction avait tenu compte du fait que ces deux hommes ne pouvaient plus avoir de relations sexuelles, des conséquences qui en étaient résultées pour eux, indépendamment de leur âge, du point de savoir s’ils avaient ou non des enfants et de toutes autres considérations.

Conclusion : violation (cinq voix contre deux).

Carvalho Pinto de Sousa Morais c. Portugal – 17484/15

Arrêt 25.7.2017 [Section IV]– Arrêt rédigé en anglais, résumé en français

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