Rente payée à tort après le décès : les héritiers doivent-ils rembourser ?

Un directeur d’entreprise bénéficiait d’une prévoyance professionnelle et d’une assurance pour les cadres. Il décède le 2 novembre 2009. La caisse de pension cesse immédiatement le paiement de la rente vieillesse qu’elle versait. Mais l’assurance, ignorant apparemment le décès, continue à payer les rentes et à adresser les avis d’usage à l’assuré décédé. Ce n’est qu’au début 2013 que ces paiements injustifiés sont décelés. Plus de Fr. 200’000.- ont ainsi été versés au défunt, somme qui a bénéficié à ses héritiers.

L’assurance attaque donc ces héritiers et elle obtient gain de cause devant le tribunal zurichois : ils doivent rembourser les Fr. 200’000.-. Ils recourent au Tribunal fédéral (TF), invoquant notamment la prescription ; les juges fédéraux n’étant apparemment pas d’accord entre eux, une audience publique est organisée le 29 mars 2017.

Le TF se demande tout d’abord quelle est la base légale applicable au remboursement réclamé. S’agit-il de l’article 35a LPP ? Cette disposition a la teneur suivante :

Art. 35a

 Restitution des prestations touchées indûment

1 Les prestations touchées indûment doivent être restituées. La restitution peut ne pas

être demandée lorsque le bénéficiaire était de bonne foi et serait mis dans une situation

difficile.

2 Le droit de demander la restitution se prescrit par une année à compter du moment

où l’institution de prévoyance a eu connaissance du fait, mais au plus tard par cinq

ans après le versement de la prestation. Si le droit de demander restitution naît d’un

acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long,

ce délai est déterminant.

Si cette disposition est applicable, le délai est d’une année dès la connaissance, par l’institution de prévoyance professionnelle, de son droit d’exiger un remboursement (la règle des cinq ans n’a pas d’importance ici).

D’autre part, la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) ne s’applique pas en matière de prévoyance professionnelle ou d’assurance privée. Il est donc exclu, pour l’assurance en cause, d’émettre une « décision de restitution ».

Le TF considère que les héritiers n’ont pas eu de rapport de prévoyance avec l’assurance, car seul le défunt avait ce rapport. Par conséquent, ni la LPP ni la LPGA ne leur sont applicables. Seul l’est le Code des obligations (CO) , spécialement les articles 62 et suivants sur l’enrichissement illégitime. L’art. 67 al. 1 de ce Code indique :

Art. 67

1 L’action pour cause d’enrichissement illégitime se prescrit par un an

à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de

répétition, et, dans tous les cas, par dix ans dès la naissance de ce

droit.

On constate que cette disposition n’est finalement pas fondamentalement différente de l’article 35a LPP, puisque le délai d’une année court, pour la partie lésée,  dès la « connaissance de son droit de répétition ». Néanmoins, les juges zurichois n’ayant pas examiné en détail le respect de ce délai, le recours des héritiers doit être admis et la cause renvoyée à l’instance inférieure pour nouveau jugement à la lumière des dispositions du CO sur l’enrichissement illégitime.

9C_108/2016 du 29 mars 2017, destiné à publication

Notre commentaire :

L’arrêt n’indique pas pour quelles raisons il a fallu une délibération publique, dès lors que, dans le présent cas, il n’y a pas de différence fondamentale, quant au résultat, entre la base légale (faussement) choisie par les juges cantonaux (la LPP) et celle qui aurait dû s’appliquer (le CO) : dans les deux cas, le délai est d’une année dès la connaissance, par l’assureur, du droit d’exiger le remboursement. Autrement dit, le résultat semble devoir être le même.

À moins toutefois qu’il ne s’agisse pas que d’une question de prescription : si le juge doit désormais se fonder sur les règles du CO, il peut envisager d’appliquer aussi l’article 64 CO, qui dispose :

«Il n’y a pas lieu à restitution, dans la mesure où celui qui a reçu indûment

établit qu’il n’est plus enrichi lors de la répétition; à moins

cependant qu’il ne se soit dessaisi de mauvaise foi de ce qu’il a reçu

ou qu’il n’ait dû savoir, en se dessaisissant, qu’il pouvait être tenu à

restituer. »

Ainsi, il se peut que, grâce à cette disposition, les héritiers parviennent à démontrer qu’ils ne sont plus « enrichis », autrement dit qu’ils ont dépensé de bonne foi les Fr. 200’000.-. Mais c’était très douteux dans le présent cas : ces héritiers avaient offert de déposer la somme auprès du Tribunal fédéral, ce qu’ils n’auraient pas pu faire s’ils ne disposaient plus du montant en question, offre que d’ailleurs le TF a rejetée…

On peut donc penser en définitive que la délibération publique avait avant tout à caractère scientifique, pour débattre et trancher la question de la base légale.

 

 

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