Invalide partiellement active : effets d’une aggravation de son état sur sa rente

Madame X est invalide de naissance. Elle a néanmoins pu faire des études de droit, qui lui ont permis de travailler à 50 % depuis 2009. Elle touche une rente AI également à 50 %, dont le montant est toutefois très bas, dès lors qu’elle n’a jamais pu travailler, sauf quelques jobs d’étudiante, avant la fixation de cette rente. On sait en effet que le montant de la rente dépend du revenu et de la durée des cotisations. Pas de problème pour la durée : vu qu’il s’agit d’une invalidité de naissance, c’est la meilleure échelle qui est appliquée. En revanche, le montant réduit de la rente résulte du fait qu’il n’y a pratiquement pas eu de revenus entre l’âge de 18 ans et le début de la carrière professionnelle.

Malheureusement, en 2017, son état de santé s’aggrave, entraînant une révision de la rente. Désormais, Madame X se voit reconnaître une rente entière.

Elle demande que cette rente entière soit calculée en tenant compte des cotisations qu’elle a versées sur son salaire entre 2009 et 2017. L’office AI refuse, mais le Tribunal cantonal fribourgeois lui donne raison. L’office AI recourt au Tribunal fédéral (TF), afin de qu’il ne soit pas tenu compte des revenus réalisés entre 2009 et 2017.

Cette autorité rappelle tout d’abord les divers arguments retenus par les juges fribourgeois. Leur principal argument est fondé sur l’esprit de la loi sur l’assurance invalidité davantage que sur sa lettre. Il s’agit, pour ces juges cantonaux, d’éviter une situation choquante , pénalisant les invalides qui n’ont jamais pu travailler à plein temps par rapport aux personnes qui deviennent invalides au cours de leur carrière. Au contraire, l’office AI et l’Office fédéral des assurances sociales (qui appuie le recours) font valoir que la loi ne permet pas de s’écarter du principe découlant de l’article 29bis LAI : conformément à cette disposition, seules les années de cotisations et les revenus provenant d’une activité lucrative accomplis avant la réalisation du cas d’assurance sont déterminants.

Le TF se rallie à cette manière de voir, après avoir analysé les travaux législatifs lors de l’adoption de la loi et lors de ces modifications ultérieures. Il estime qu’il n’y a pas de discrimination frappant les assurés jeunes qui n’ont jamais pu gagner des salaires normaux.

En effet , il indique:

« 5.4.2. Ces interventions du législateur montrent que la situation des jeunes personnes qui ont subi une invalidité au début du parcours professionnel a été prise en considération et fait l’objet d’une réglementation particulière, même si on peut douter de la pertinence de la suppression de l’art. 36 al. 3 aLAI. Que cette réglementation ne soit pas entièrement satisfaisante et ne prévoie pas la prise en compte de l’évolution favorable de la carrière professionnelle du titulaire d’une rente de l’assurance-invalidité et des revenus réalisés après l’octroi initial de la prestation ne met pas en évidence une meilleure compréhension de la ratio legis qui justifierait une modification de la jurisprudence relative à l’art. 29bis al. 1 LAVS. Les effets de l’application de cette disposition ne conduit (sic) par ailleurs pas à un résultat à ce point choquant que l’intervention du juge apparaisse légitime, quoi qu’en dise l’intimée. 

Le cas échéant, il appartiendrait au législateur de prévoir une disposition qui dérogerait à l’art. 29bis al. 1 LAVS pour permettre la prise en considération de l’évolution des revenus postérieurs à la survenance de l’invalidité, dans le cas d’une révision au sens de l’art. 17 LPGA. A cet égard, une telle dérogation ne ressort pas de l’art. 32bis RAI, dont est inspirée la solution retenue par la juridiction cantonale. Cette norme concerne la « renaissance de l’invalidité » et non pas la situation dans laquelle « à la suite d’une modification du degré d’invalidité, une demi-rente cède le pas à une rente entière, le texte clair des art. 4 al. 2 et 29 al. 1 aLAI (aujourd’hui art. 28 al. 1 let. b LAI) ne permettant aucune autre conclusion à cet égard » (arrêt I 81/90 du 23 avril 1991 consid. 4d). » 

Le recours de l’office AI est donc admis et sa décision de rente entière fondée sur le revenu faible (il s’agissait d’un petit revenu d’étudiante) réalisé au début de la vie active est validée par le TF.

ATF 9C_179/2020 du 16.11.2020, destiné à publication

Notre commentaire :

Cet arrêt est typique d’une tension, sinon d’un conflit, entre des normes légales, claires il est vrai, mais qui se sont révélées très rigoureuses pour l’assurée dans le présent cas et le sentiment de la justice, sans compter qu’après tout le but principal de l’assurance invalidité est de favoriser l’autonomie financière, via une activité lucrative des assurés, lorsque c’est possible, Ici, l’interprétation littérale, justifiée d’ailleurs par les travaux législatifs, a prévalu sur ce sentiment de la justice. Contrairement au TF et à l’instar des juges fribourgeois, nous considérons que cet arrêt équivaut tout de même à une discrimination des personnes devenues invalides dans leur jeunesse. Il y aurait peut-être matière à recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a parfois fait prévaloir le sentiment de la justice sur l’application littérale de la loi, comme le montre son arrêt  Howald Moor contre Suisse, où elle a censuré les règles suisses sur la prescription, règles qui privaient les victimes de l’amiante d’un droit à indemnisation. En tout cas, nous souhaitons que l’appel du TF au Parlement, dans la présente affaire, demandant ou au moins suggérant une modification de la loi, soit entendu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-commentaires (0)-

Publier un commentaire