Une rente d’assurance accident peut devoir être remboursée avec effet rétroactif !

La Suva réclame à un assuré un remboursement de Fr. 115’000 .- correspondant à une rente touchée depuis quelques années. En effet, la Suva décide que la décision de rente rendue à l’époque était manifestement erronée et qu’elle doit donc être corrigée par voie de reconsidération, et cela avec effet rétroactif. L’assuré admettrait à la limite que la rente soit supprimée pour l’avenir, mais en aucun cas il ne peut accepter l’effet rétroactif l’obligeant à un si important remboursement. L’assuré recourt sans succès auprès des instances cantonales. Il saisit donc le Tribunal fédéral (TF).

Celui-ci estime que les règles qui prévalent en assurance invalidité (AI), et qui n’autorisent qu’une reconsidération pour l’avenir (nunc et pro futuro) ne s’appliquent pas en matière d’assurance accident obligatoire, comme en l’espèce. Le TF donne la priorité au rétablissement d’une situation conforme au droit, ce qui implique selon lui l’effet rétroactif, donc le remboursement de ce qui a été touché à tort. La seule consolation accordée à l’assuré est qu’il peut demander à être dispensé de l’obligation de rembourser pour autant qu’il était de bonne foi (c’est-à-dire qu’il n’a pas triché à l’époque) et que le remboursement constitue pour lui une charge excessive.

ATF 8C_792/2015 du 31 mai 2016, destiné à publication

Notre commentaire :

Cet arrêt nous choque, tant dans son résultat que sur le plan de la sécurité du droit et de l’égalité des parties, égalité qui vaut selon la Cour européenne des droits de l’homme non seulement en droit privé, mais également en droit public (LAA).

L’assuré a cru de bonne foi, à l’époque, qu’il pourrait toucher la rente selon la décision de l’assureur accident. Il a donc laissé cette décision entrer en force de chose jugée, alors que la rente accordée était peut-être trop faible. Autrement dit, il a renoncé à recourir pour tenter d’obtenir une rente meilleure. Il y a eu en quelque sorte accord entre les parties au sujet de la rente. Et voici que quelques années plus tard et de manière tout à fait unilatérale, l’assureur accident revient, par voie de reconsidération, sur cette décision qui, au fond, avait à l’époque l’accord des deux parties (soit de l’administration qui a décidé et de l’assuré qui a accepté cette décision). Si cette reconsidération n’a effet que pour l’avenir, sans obligation de rembourser, on peut encore admettre que la correction de l’erreur commise à l’époque par l’administration l’emporte sur la sécurité du droit. Mais cette sécurité doit bénéficier également à l’assuré de bonne foi, ce que le TF oublie manifestement dans cette affaire : cet assuré a bien sûr dépensé la rente qu’il touchait et à laquelle il croyait avoir droit, pour son entretien courant et celui de sa famille. Il n’a pas eu le temps de se réorganiser en fonction de la suppression de la rente ou de sa réduction drastique, ce à quoi il ne pouvait pas s’attendre.

Par cet arrêt, l’assuré est triplement soumis à l’arbitraire de l’assureur :

  • celui-ci est seul à décider s’il y aura ou non reconsidération ; l’assuré, de son côté, ne peut pas exiger une telle reconsidération à la hausse, même s’il y a eu à l’époque une erreur en sa défaveur ; autrement dit une situation conforme au droit ne peut être rétablie qu’en faveur de l’assureur et non en faveur de l’assuré…
  • la date d’une décision de reconsidération est librement choisie par l’assureur ;
  • enfin, l’assureur peut décider seul de la date — éventuellement rétroactive de plusieurs années comme ici (!) — à laquelle la réduction ou même la suppression de la rente prend effet. Autrement dit, il peut ainsi décider unilatéralement — grâce à cet arrêt — quelle sera l’ampleur du remboursement que devra fournir l’assuré ! 

Autre aspect non examiné par le TF : par une telle reconsidération rétroactive, l’assureur peut récupérer des fonds importants auprès de l’assuré, alors même que, dans les cas de responsabilité civile, il a obtenu par voie de recours contre le tiers responsable le remboursement intégral de la rente accordée dans un premier temps à l’assuré ; cet arrêt n’avait certes pas à aborder cette question, mais elle se pose à l’évidence chaque fois qu’il y a un tiers responsable de l’accident. Autrement dit, le tiers responsable ou son assureur RC auront trop payé à l’assureur LAA, qui est ainsi enrichi sans cause valable. Nous nous permettons de suggérer que les assureurs RC, à l’occasion, contestent cette jurisprudence, même s’il est vrai que le problème se posait aussi jusqu’ici, dans tous les cas où une rente LAA est modifiée après coup. Simplement, avec la modification rétroactive et le remboursement, le problème se posera plus fréquemment et pour des montants plus importants.

Certes, comme on l’a vu, le TF concède à l’assuré la possibilité de solliciter une dispense de remboursement en se prévalant de sa bonne foi et de sa situation financière difficile. Mais cela ne change rien aux critiques que nous formulons et, par ailleurs, il y a également un certain arbitraire dans l’appréciation de cette situation financière.

En résumé, nous espérons que cet arrêt, même s’il est aujourd’hui considéré par le TF comme étant de principe (du fait qu’il sera publié), sera modifié prochainement, dans le sens de rétablir une harmonie entre les principes de reconsidération de l’AI (pas d’effet rétroactif et pas de remboursement) et ceux de l’assurance accident obligatoire LAA.

 

 

 

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