Douleurs sans substrat organique : du nouveau !

Dans l’éternelle discussion sur le SPECDO (syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique), le TF, à deux cours réunies, a décidé de changer sa pratique qui avait cours pendant plus de 10 ans, et cela dans un sens favorable aux assurés.

En particulier, il a décidé d’abandonner sa « présomption de surmontabilité ». Jusqu’ici, en présence de troubles psychosomatiques, survenant notamment après le « coup du lapin », sans que l’on puisse trouver une cause physique à ces troubles, mais également pour toute une quantité d’autres troubles du même genre, il appartenait à l’assuré de démontrer qu’il ne pouvait pas, malgré un intense effort de volonté, surmonter lesdits troubles. Or cette preuve — négative — est par définition pratiquement impossible à fournir. Ainsi, l’assuré n’avait pas droit à des prestations de l’assurance invalidité, ni à des prestations de prévoyance professionnelle. Bien souvent, il tombait à l’aide sociale.

Avec ce nouvel arrêt, le tribunal fédéral estime qu’il faut toujours des expertises psychiatriques, mais que celles-ci doivent être complètes et répondre à un certain nombre de critères, alors qu’auparavant — encore une fois — le caractère non invalidant des troubles était présumé.

Il faut tout d’abord procéder à un diagnostic des douleurs subies pour entrer dans une classification selon le manuel ICD-10. Le plus souvent il s’agit du chiffre F 45 (considérant 2 .1.1).

Bien entendu, les simulations doivent être exclues de l’assurance, comme jusqu’ici. De même, il faut que les troubles soient objectivement non surmontables ; le ressenti subjectif ne suffit pas. (Note Philippe Nordmann : les douleurs sont par définition ressenties subjectivement, mais elles deviennent d’une certaine manière objectives par des constats médicaux quant à leur intensité et leur durée).

Le TF ajoute qu’il avait déjà jugé par le passé que l’on ne peut pas toujours exiger de la personne qui souffre de manière aussi intensive et constante qu’elle dispose des ressources nécessaires pour se réintégrer dans le monde du travail.

S’appuyant sur des travaux juridiques et médicaux de toute première importance, le TF renonce donc désormais à sa présomption que les troubles sont surmontables sauf preuve contraires fournie par l’assuré.

Cette présomption conduisait à des schématismes, au détriment des assurés. Aujourd’hui, les expertises ne doivent pas au départ poser des critères faussés par un jeu de présomption. Il faut des expertises « ouvertes ».

De même, il n’est plus nécessaire de conserver le critère de la « comorbidité psychique » ni celui du « profit que l’assuré peut tirer de sa propre maladie » (considérant 4.1.1) . Plus précisément, le critère de comorbidité psychiques constitue désormais un seul critère avec celui des atteintes somatiques qui l’accompagnent.

Le TF va jusqu’à donner un catalogue systématique et détaillé de ce qu’il y a lieu d’examiner lors d’une expertise (considérant 4.1.3). En particulier l’analyse de la personnalité de l’assuré devient plus importante qu’auparavant (considérant 4.3.2). De même l’analyse de l’entourage social et du comportement général. L’expert devra aussi examiner si l’assuré se soigne ou non (considérant 4.4.2). Tous ces critères peuvent être contrôlés par le juge, car ils sont de nature juridique. Autrement dit, l’accent est mis en général sur les effets fonctionnels des troubles psychosomatiques : il appartient au juge de dire si l’expertise lui paraît suffisante pour admettre ou non le caractère invalidant des troubles.

En l’espèce l’assurée obtient donc l’annulation du refus de l’office AI d’entrée en matière et du jugement cantonal allant dans le même sens. Le TF ordonne une expertise psychiatrique judiciaire (c’est-à-dire organisée par le tribunal cantonal) pour clarifier tous les points qu’il a indiqués.

ATF 9C_492/2014 du 3 juin 2015, qui sera publié

Notre commentaire :

Depuis quelques années, les travaux scientifiques s’étaient multipliés pour démontrer que la jurisprudence schématique du tribunal fédéral ne tient pas, ni en elle-même,(expertise Henningsen),  ni au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (expertise de Müller/Kradolfer). L’arrêt de principe de 2004 (ATF 130 V 352) est ainsi renversé. De même, les jurisprudences de 2006 concernant la fibromyalgie, de 2007 et 2008 concernant les troubles dissociatifs de sensibilité et de motricité, de 2010 concernant le syndrome de fatigue chronique (CFS) et de 2011 concernant l’hypersomnie : toutes ces jurisprudences ne sont désormais plus valables. Et lorsque les troubles sans substrat organique sont la conséquence d’un accident, le tiers responsable ne pourra plus demander l’application par analogie de la jurisprudence sévère en matière d’assurance sociale, puisque précisément cette jurisprudence est maintenant modifiée.

 

 

-commentaires (0)-

Publier un commentaire