Problèmes financiers des caisses de pension : peuvent-elles réduire les rentes ? ?

Le TF vient de se pencher sur cette question très complexe, en audience publique du 3 juillet 2009. Il juge que sous réserve des droits acquis – assez rares – les caisses en sous-couverture peuvent bel et bien, à certaines conditions,  réduire les rentes dans la prévoyance dite plus étendue (dépassant le minimum LPP). Le cas était assez spécial : les rentiers avaient obtenu en 1999 une augmentation extraordinaire de leurs rentes d’environ 20 %, vu les bons résultats financiers de la caisse à l’époque. En 2005 en revanche, la situation s’est détériorée et la caisse est tombée en sous-couverture. Elle a alors émis un nouveau règlement prévoyant des contributions d’assainissement non seulement de la part des cotisants, mais aussi de la part de ces rentiers (réduction des rentes). Le Tribunal cantonal a estimé que les conditions légales et réglementaires pour un prélèvement chez les rentiers n’étaient pas remplies.

Le TF n’a pas été de cet avis. Il a jugé la base réglementaire suffisante. Le « bonus » octroyé à l’époque provenait des fonds libres (non créés par des contributions, mais par les bons résultats sur les marchés financiers). Il n’était pas garanti par le règlement, ce qui l’aurait rendu intangible. Selon le TF, personne ne peut prétendre toucher des bénéfices quand tout va bien, sans risquer des pertes quand tout va mal. Certes, le nouvel art. 65d de la LPP, prévoyant de tels assainissements, comporte toute une série de limitations et de cautèles, mais aucune n’était remplie en l’espèce. En particulier, on était dans le domaine extra-obligatoire; la nouvelle base réglementaire suffisait; la contribution à charge des rentiers ne faisait pas tomber la rente en-dessous du montant initial (fixé avant le « bonus »); les autres mesures d’assainissement, en particulier des procès contre les responsables de la débâcle, sont trop aléatoires.

Notre commentaire :

cet arrêt fait l’impasse sur le fait que la prévoyance professionnelle est obligatoire même pour la part extra-obligatoire, le salarié n’ayant pas le choix de ne contribuer que pour la part obligatoire ;

il paraît aussi problématique sur la question de la base réglementaire, en particulier en admettant qu’une base nouvelle suffise;

il limite les pouvoirs de surveillance de l’autorité à de simples questions de droit, à l’exclusion des analyses financières, ce qui donne beaucoup (trop) de pouvoir aux « spécialistes »

et enfin, il crée une inégalité entre ceux qui touchent une rente (laquelle peut donc être réduite) et ceux qui ont quitté la Caisse en prenant le capital ou un libre passage (et qui gardent ainsi intégralement leur « bonus » octroyé à l’époque); finalement, les rentiers qui ont le choix auront tendance  à demander le paiement en capital, dans la limite maximale possible, ce qui n’est pas forcément favorable aux caisses elles-mêmes.

ATF 9C_708/2008, 9C_899/2008, 9C_709/2008 et 9C_904/2008 destiné à publication (en allemand), du 3.7.09

Ci-dessous : une note plus détaillée de cet arrêt important.

1)            Une institution de prévoyance qui ne fait que garantir une autre institution de prévoyance, pour le cas où celle-ci ne pourrait servir les prestations qu’elle doit, ne peut pas participer à la procédure concernant les plans d’assainissement, car elle n’est concernée qu’indirectement. Si on devait admettre qu’elle puisse participer à toutes ces procédures de mise sur pied et des plans d’assainissement, elle devrait participer dès le début et elle aurait la légitimation active pour recourir dans toutes les situations, ce qui ne serait guère pratique.


2)            L’autorité de surveillance, chargée d’examiner les plans d’assainissement, doit se limiter à un contrôle juridique (Message du 19 septembre 2003 du Conseil fédéral, Feuille fédérale 2003, pages 6399 et ss, 6418, etc.).


3)            Le contrôle que doit effectuer l’autorité de surveillance en approuvant le plan d’assainissement se fait de manière abstraite. En effet, un rentier qui estime que ses droits sont touchés doit agir par la voie de l’action au sens de l’art. 73 LPP (cons. 4.3).


4)            Une première liquidation partielle avait eu lieu au 31 mars 1999, qui avait donné des résultats positifs et permis d’attribuer une augmentation de 26.4% aux rentes d’invalidité anciennes et même 34% aux rentes d’invalidité nouvelles. Mais le degré de couverture a drastiquement diminué puisqu’il n’était plus que de 86.28% en mars 2005, et 89.89% l’année précédente. Il n’est donc pas contesté que des mesures d’assainissement devaient être prises.


5)            Ce qui est contesté, c’est la validité de la mesure d’assainissement adoptée, consistant à réduire les rentes des rentiers qui avaient obtenu une augmentation de 20% environ lors de la liquidation partielle de 1999 (cons. 5).


6)            Le TF constate qu’il n’a jamais eu l’occasion de décider si des rentes en cours peuvent être réduites (cons. 6.1 in fine).

7)            Lorsque le Conseil fédéral a émis le Message du 19 septembre 2003 précité, il a rappelé que, pour la partie obligatoire, les rentes ne pouvaient être réduites sans base légale, d’où l’énorme difficulté d’assainir les caisses, et la nécessité d’adopter de nouvelles règles légales permettant cela. Le Conseil fédéral était conscient du fait qu’une modification réglementaire permettant de réduire les rentes réglementaires n’était pas admissible. En revanche, une réduction d’autres attributions était possible. Cela a conduit à l’adoption de l’art. 65 d actuel de la loi, n’autorisant des réductions d’assainissement que s’il y a eu des améliorations non prévues par des dispositions légales ou réglementaires, la zone obligatoire ne devant de surcroît pas être touchée.


8)            Lors des débats parlementaires, la question des contributions des rentiers a fait l’objet de discussions. Le nouvel art. 65 d al. 3 lettre b LPP est ainsi entré en vigueur. Il vaut aussi pour la prévoyance plus étendue.


9)            L’instance cantonale ainsi que les intimés au recours estiment que les contributions exigées des rentiers, à divers égards, violent la disposition légale précitée.


10)        L’art. 65 d al. 2 LPP dit que les mesures d’assainissement « doivent être proportionnelles et adaptées au degré du découvert et s’inscrire dans un concept global équilibré » et qu’elles « doivent en outre être de nature à résorber le découvert dans un délai approprié ». S’agissant du prélèvement d’assainissement auprès des rentiers, il ne peut être opéré « que sur la partie de la rente en cours qui, durant les 10 années précédant l’introduction de cette mesure, a résulté d’augmentations qui n’étaient pas prescrites par des dispositions légales et réglementaires ». La prévoyance obligatoire est exclue de ces mesures et en outre la contribution d’assainissement « ne peut être prélevée sur les prestations allant au-delà de la prévoyance obligatoire que si le règlement le prévoit; le montant des rentes établi lors de la naissance du droit à la rente est toujours garanti ».


11)        L’instance précédente a estimé ne pas pouvoir affirmer qu’un concept global équilibré d’assainissement existait (cons. 7.1).


12)        Le TF rappelle que la période normale pour assainir est de 5 à 7 ans et qu’elle ne peut excéder 10 ans que dans des cas exceptionnels (cons. 7.2). L’évolution des marchés financiers ne peut pas être prévue sur une si longue durée. Il en résulte que des mesures d’assainissement ne peuvent pas être fixées sur une durée bien déterminée et qu’il faut des adaptations en cours. Vu cette incertitude, on ne saurait d’emblée reposer à des réductions de rente. Il faut les admettre « wenn in Zeitpunkt der Beschlussfassung aufgrund einer realistischen Lagebeurteilung andere Massnahmen wahrscheinlich nicht ausreichen, um die Unterdeckung zu beheben » et il faut en outre vérifier constamment le bien-fondé de cette réduction au fil des années. Si l’on a été trop pessimiste, on annulera ladite réduction.

13)        En l’espèce, dès l’instant où le taux de couverture avait baissé de 89.89% à 86.28%, il y avait une situation d’alarme et l’on ne pouvait pas dire que la seule amélioration des investissements aurait permis un assainissement. Dès lors, le principe même d’une contribution des rentiers doit être considéré comme admis (cons. 7.3).


14)        Les actions en responsabilité contre les administrateurs ne peuvent pas être des mesures suffisantes d’assainissement. De tels procès durent très longtemps et leur résultat est aléatoire (cons. 7.3 également).


15)        Le TF examine ensuite si, effectivement, le règlement prévoit de telles contributions . En l’espèce, si précisément le nouveau règlement le prévoit, cela n’était pas le cas de celui de 1998. Par conséquent, les rentes qui ont pris naissance sous ce règlement de 1998 ne pourraient pas être touchées. Le TF estime que cet argument n’est pas valable, le but de la nouvelle loi (art. 65 d LPP) étant précisément, au vu du flou qui régnait avant son entrée en vigueur, de permettre un assainissement par des contributions des rentiers même sans base réglementaire antérieure.


16)        Reste à examiner la question de savoir si les augmentations de rente décidées à l’époque avaient ou non une base réglementaire : si elles en avaient une, on ne pourrait plus les réduire aujourd’hui. Il faut que le règlement prescrive de manière impérative ces augmentations de rente. Selon les débats parlementaires, seules les contributions volontaires octroyées à l’époque peuvent aujourd’hui être utilisées pour réduire les rentes, mais pas les montants prescrits réglementairement. De l’avis du TF, les montants provenant des fonds libres constituent précisément des suppléments non réglementaires. Les rentiers ont profité de la bonne situation de l’époque et ils doivent aujourd’hui, de ce fait, accepter des réductions, mais pour autant qu’ils soient encore dans la caisse. S’ils sont sortis entre-temps, cette obligation de contribuer cesse bien évidemment.


17)        Qu’en est-il de l’art. 65 d al. 3 lettre b 6ème phrase de la LPP qui dit que « le montant des rentes établi lors de la naissance du droit à la rente est toujours garanti » ? Ici, les augmentations accordées à l’époque de 26.4% font que l’on n’était plus dans le cadre de la rente initialement fixée et, par conséquent, une contribution des rentiers peut être exigée.


18)        Mais qu’en est-il des nouveaux rentiers, qui ont reçu également une partie des fonds libres, qui étaient cependant déjà incorporés dans les nouvelles rentes (et non octroyés par le biais d’une augmentation des anciennes rentes) ? Le TF se livre ici à une analyse historique très approfondie, dont il résulte que l’Assemblée fédérale n’a pas donné un avis clair sur la portée de cette phrase. Il résulte de toutes ces discussions que ce qui est déterminant n’est pas le moment de l’octroi de la rente, mais la question de la base réglementaire (cons. 11.4.3 in fine). Je me demande aussi dans quelle mesure la théorie des droits acquis, c’est-à-dire la protection de la bonne foi, pourrait faire obstacle à des prélèvements auprès des rentiers. Mais il dit que seules bénéficient de cette protection de la bonne foi et des droits acquis les prestations obtenues par les contributions des rentiers et celles de leurs employeurs. Le TF indique : « aucune personne raisonnable ne peut de bonne foi compter profiter d’un système dans lequel il n’aurait que des chances de gagner et aucun risque de perdre (en allemand : Kein vernünftiger Mensch kann in guten Treuen damit rechnen, dass er von einem System profitieren kann, in welchem er nur Gewinnchancen, aber keine Verlustrisiken hat) ».


19)        Au final, le TF valide les prélèvements faits auprès des rentiers, parce que ceux-ci avaient bénéficié à l’époque d’augmentations de rente qui n’étaient pas des droits découlant directement du règlement, les fonds libres étant des sortes de « bonus ».


20)        Finalement, les institutions de prévoyance professionnelle, même si elles ont été mal gérées, ce qui a fait baisser le taux de couverture, peuvent exiger des prestations des rentiers et les cas où ceux-ci pourraient invoquer une protection particulière sont très limités (cela concerne surtout la partie obligatoire de la prévoyance professionnelle, mais on voit mal dans quels autres cas il serait exclu de prélever des contributions d’assainissement auprès des rentiers).


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