Prévoyance professionnelle : un clause réglementaire défavorable aux assurés annulée par le Tribunal fédéral !

Madame X, infirmière vaudoise, devient totalement incapable de travailler. Elle a droit à une rente entière de l’AI, ainsi qu’à une rente entière de la prévoyance professionnelle. En pareil cas, l’institution de prévoyance professionnelle, ici la caisse de pension des EMS « vitems » a prévu dans son règlement, conformément à la loi, que l’invalidité ne doit pas conduire à un total de prestations supérieur à 90 % du dernier salaire cotisant .

La disposition en question est rédigée comme suit :

« le fonds ne compense pas le refus ou la réduction de prestations que l’AVS/AI, l’assurance-accidents ou l’assurance-militaire a décidé parce que le cas d’assurance a été provoqué par la faute de l’ayant droit. Il en va de même lorsque le bénéficiaire des prestations de l’AVS/AI n’a pas droit à des prestations complètes parce que l’assuré compte une durée incomplète de cotisations selon l’art. 29ter LAVS ». 

En l’occurrence, Madame X n’avait pas une durée complète de cotisations AVS. Néanmoins, de manière fictive, la caisse de pension recalcule sa rente AVS comme si elle avait cette durée complète (échelle 44). Ainsi, le total de la rente AI (fictive) et de la rente de prévoyance professionnelle dépasse 90 % du dernier salaire cotisant. Cela entraîne la réduction de cette rente de deuxième pilier.

Illustrons cela par un exemple (simplifié par rapport au présent cas):

Dernier salaire cotisant : Fr. 5’000.-

Limite de surindemnisation 90 % = Fr. 4’500.-

Le total des rentes de premier et deuxième pilier ne peut donc dépasser Fr. 4’500.-

Rente AI effective (y compris les rentes pour enfants) : Fr. 3’000.-

Rente AI fictive (y compris les rentes pour enfants, basée sur une échelle 44) : Fr. 4’500.-

Rente vitems selon fiche d’assurance : Fr. 2’000.-

Sans la disposition contestée, il y a place pour une rente effective de deuxième pilier de Fr. 1’500.- (Fr. 4’500.- moins la rente AI effective de Fr. 3’000.-) . La réduction ne serait que légère, de Fr. 2’000.- à Fr. 1’500.-.

Au contraire, le calcul selon la disposition contestée ne laisse aucune place pour une rente de deuxième pilier, puisque les Fr. 4’500.- fictifs de la rente AI suffisent à couvrir à eux seuls le 90 % du gain assuré . Techniquement, la rente d’invalidité du deuxième pilier est ainsi « réduite à zéro ».

La Cour des assurances du Tribunal cantonal vaudois (CASSO) considère que cette prise en compte d’une rente AI fictive n’est pas admissible, autrement dit que cet article réglementaire est contraire à la loi. De son côté, la caisse de pension estime que l’on est en présence d’un règlement prévoyant des rentes plus élevées que les rentes minimales légales de la LPP, donc que l’on est dans un domaine où prévaut la liberté contractuelle. Cette disposition serait valable. Cette caisse recourt au Tribunal fédéral.

Le TF admet certes que dans le domaine de la prévoyance plus étendue, les institutions sont libres de rédiger les règlements à leur guise. Elles doivent toutefois respecter les principes généraux de la LPP. Parmi ceux-ci : le principe d’égalité et surtout l’application correcte de la notion légale d’interdiction d’un avantage injustifié. Or, un assuré ne bénéficie pas d’un avantage injustifié lorsqu’on ne prend en compte, dans le calcul, que sa rente AI effective et non une rente AI fictive supérieure. Le TF passe en revue les principaux auteurs qui se sont exprimés à ce sujet et qui vont en majorité dans le sens jugé par la Cour vaudoise.

De plus, la règle de l’égalité est violée par cette disposition réglementaire, car :

« … comme l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale, la disposition réglementaire en cause contrevient à ce principe, dans la mesure où deux personnes appartenant à la même collectivité d’assurés, présentant les mêmes caractéristiques du point de vue de la prévoyance professionnelle (même âge, même durée de cotisations, même situation familiale, même salaire, même prestation de libre-passage) et devenant invalides au même moment, mais l’une percevant une rente du premier pilier inférieure à celle de l’autre en raison d’une durée incomplète de cotisations, se verraient allouer des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle différentes dans le cadre du calcul de surindemnisation. L’assuré bénéficiant d’une rente du premier pilier fondée sur une durée de cotisations partielle se verrait confronté à la prise en considération de cette prestation à un montant hypothétique (en fonction d’une échelle de rente complète), ce qui abaisserait d’autant le seuil de surindemnisation prévu par l’art. 26 ch. 1 du règlement de prévoyance ».

En résumé, seule la rente AI effective doit entrer dans le calcul et en aucun cas une rente fictive basée sur la meilleure échelle possible n° 44.

Le recours du fonds de prévoyance vitems est rejeté.

ATF 9C_52/2020  du 1er février 2021  destiné à publication.

 

Notre commentaire :

Cet arrêt doit être approuvé. Cette même clause , désormais annulée par le TF, figure dans de nombreux règlements, notamment de multiples entreprises du canton de Vaud. On trouve aussi cette clause dans les règlements du Fonds interprofessionnel FIP administré par le Centre patronal vaudois (des milliers d’entreprises…)

Très fréquemment, les assurés n’ont pas une carrière de cotisations AVS complète. Il peut y avoir des interruptions de carrière par exemple pour des raisons de maternité. On pense aussi aux carrières incomplètes pour des raisons de migration.

C’est dire que la portée de cet arrêt, destiné à juste titre à publication, est considérable. Apparemment, des millions sont en jeu. Cela d’autant plus que ces calculs de surindemnisation doivent être effectués de manière « dynamique », c’est-à-dire pratiquement chaque année. Toutes les personnes lésées par ce calcul fictif peuvent ainsi demander une rectification non seulement pour l’avenir, mais également pour les cinq dernières années. Elles ont intérêt à agir rapidement, vu ce délai de prescription de cinq ans applicable aux prestations arriérées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-commentaires (0)-

Publier un commentaire