In dubio pro dico : examen avec dictionnaire…

Lors d’un examen en chimie–physique à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH), une étudiante tessinoise, de langue maternelle italienne, utilise un dictionnaire allemand–italien. Elle n’obtient que la note insuffisante de 3.25. Cela entraîne son exclusion de ladite école polytechnique. Elle fait recours auprès de la commission compétente de cette école, demandant à pouvoir repasser cet examen. Cette commission accepte le recours. L’ETH dépose alors en recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), lequel valide l’exclusion de cette étudiante, au motif que l’école ne lui a pas, à proprement parler, refusé l’utilisation d’un dictionnaire ; en fait, c’est elle qui a omis de le demander assez tôt à son professeur, de sorte que sa réclamation à ce sujet est tardive. L’étudiante recourt au Tribunal fédéral (TF).

Cette Cour suprême lui donne raison. S’agissant tout d’abord de la sanction prononcée en lien avec l’utilisation prohibée d’un dictionnaire, cela équivaut à une discrimination contraire à l’article 8 alinéa 2 de la Constitution fédérale : une étudiante de langue maternelle italienne est discriminée par rapport à un ou une étudiante de langue maternelle allemande, qui n’aurait pas besoin d’un dictionnaire. Cette interdiction d’un tel moyen auxiliaire résultait effectivement d’une directive adressée aux étudiants avant les examens. Certes, tous ceux-ci doivent être traités de la même manière (égalité formelle) et cela a été le cas, à lire cette directive. Mais il faut tenir compte de la règle d’égalité matérielle : un moyen auxiliaire destiné à rétablir du mieux possible ladite égalité, lorsqu’elle n’existe pas au départ (langue maternelle/langue étrangère) est non seulement admissible, mais même recommandable, au vu du but de l’examen. Ici, ce qui comptait était non pas la parfaite maîtrise d’une langue, mais bien la maîtrise de connaissances techniques. D’ailleurs l’ETH admettait elle-même que pour des examens se déroulant en anglais, l’utilisation d’un dictionnaire allemand-anglais était autorisée….

Le TF s’est également appuyé sur la Loi fédérale sur les langues (RS 441.1). Il faut aussi tenir compte en l’espèce du fait qu’il n’existe pas, au Tessin, de possibilités suffisantes de formation en langue italienne pour la biologie ou la médecine.

Dans l’analyse — très complète — de ce cas, le TF examine aussi si, concrètement, dans une situation de stress d’examen, un étudiant n’est pas désavantagé lorsqu’il doit répondre dans une langue autre que sa langue maternelle. Il suffit que ce risque existe. Tel est ici le cas.

Enfin, c’est à tort qu’il a été reproché à la recourante de ne pas avoir demandé de dictionnaire avant l’examen : elle pouvait partir de l’idée que les questions seraient formulées de manière suffisamment claire pour rendre superflue l’utilisation de ce moyen auxiliaire ; or, précisément, les questions n’étaient pas très bien rédigées, de sorte que seule la lecture de ces questions lors de l’examen était de nature à inciter la candidate à utiliser le dictionnaire ; elle n’avait aucune raison de demander cette possibilité avant l’examen. Son recours n’était pas tardif et l’avis de la commission de recours doit donc être validé (au contraire de l’arrêt du TAF, qui doit être annulé). L’étudiante est autorisée à repasser cet examen, moyennant qu’un temps suffisant lui soit accordé pour le préparer.

ATF 2C_769/2019 du 27 juillet 2019, destiné à publication

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