Mensonge du bailleur sur son « besoin propre » : quelles conséquences ?

Un locataire reçoit son congé, prétendument parce que le fils du bailleur a besoin de l’appartement. Il conteste cette résiliation, mais le Tribunal des baux lui donne tort et juge que le bailleur (ou sa famille) a effectivement besoin des locaux. Cependant, peu après, l’appartement est remis en location sur internet, pour un loyer bien plus élevé. Le locataire réclame alors environ Fr. 11’000.- de dommages et intérêts (frais de déménagement et différence de loyer avec son nouvel appartement). Il considère que la résiliation s’est révélée ultérieurement être contraire aux règles de la bonne foi. Il obtient gain de cause en première et deuxièmes instances, mais le bailleur recourt au Tribunal fédéral (TF).

Cette autorité constate tout d’abord que le litige n’atteint pas la valeur minimale de Fr. 15’000.- nécessaire pour saisir la juridiction suprême en matière de baux à loyer. Néanmoins, le TF se déclare compétent parce que c’est une question de principe qui n’a encore jamais été jugée : un locataire peut-il — dans le procès en dommages-intérêts — faire valoir que la résiliation n’était qu’un prétexte, donc qu’elle était contraire aux règles de la bonne foi, alors qu’il a été jugé une première fois que cette résiliation était valable ?

Les juges étaient divisés sur ce point, au point qu’il a fallu tenir une audience publique.

La question centrale était celle de la « chose jugée » : les tribunaux zurichois saisis de la demande de dommages et intérêts pouvaient-ils se pencher à nouveau sur cette question, alors même qu’elle avait été tranchée — dans le sens du bailleur — dans le premier litige relatif à la validité de la résiliation ?

L’avocate du locataire, Me Anita Thanei, grande spécialiste du droit du bail et auteur de nombreuses contributions dans ce domaine, estimait que oui, l’autre solution, celle d’une révision du premier jugement, n’étant pas praticable (puisque le locataire était déjà parti). Le TF a même pris un (malin) plaisir à citer cet auteur à l’encontre de la thèse qu’elle plaidait dans cette affaire…

La majorité des juges fédéraux lui a donc donné tort : une révision du premier jugement, faussé par le mensonge du bailleur, aurait été possible, mais, sans cette révision, qui n’a pas été sollicité, il y a bien « chose jugée » sur la validité de la résiliation. L’action en dommages et intérêts du locataire est ainsi rejetée.

Arrêt 4A_563/2017 du 19.2.2019, destiné à publication

Notre commentaire :

Sur le plan strictement juridique, on peut comprendre le raisonnement du TF : un jugement faussé par le mensonge d’une partie (ou d’un témoin) peut être soumis à révision (article 328 et suivants CPC), à condition toutefois que la partie qui demande la révision y ait intérêt et qu’elle agisse dans les 90 jours dès la découverte du motif de révision (mais au plus tard 10 ans après le jugement). Or, on ne peut pas d’emblée écarter cet intérêt au motif que le locataire est parti. Certes, une révision n’amènera pas la poursuite du bail, mais elle peut constituer la base, comme le montre précisément cette affaire, d’une demande de dommages et intérêts. On voit donc que la révision peut porter finalement — davantage — sur les motifs du jugement entaché que sur son résultat, si un changement de ces motifs peut ouvrir la porte un deuxième procès. Toutefois, dans l’affaire en cause, le délai de 90 jours était finalement passé et — malheureusement pour le locataire — il n’a obtenu ainsi aucun dommages et intérêts.

Mais d’une manière générale, cet arrêt ouvre tout de même la porte à la solution d’une révision d’un jugement validant la résiliation, si celle-ci se révèle finalement n’avoir été qu’un prétexte (vorgeschobene Kündigung). Cela introduit une étape supplémentaire — celle de la révision — avant l’action en dommages et intérêts, ce qui complique passablement les choses.

 

 

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