Accident ou suicide ?

Le 25 mai 2012, Monsieur B est retrouvé sans vie au pied de son immeuble, à côté d’un yogourt et d’une cuillère. Il était tombé du balcon du quatrième étage. Aucune trace permettant de penser à l’intervention d’un tiers n’a été trouvé dans son appartement. Pas davantage de message d’adieu. En revanche, Monsieur B était sous antidépresseurs. Il avait des difficultés familiales et professionnelles.

La Bâloise, assureur LAA, considère qu’il s’agit d’un suicide et refuse toute prestation aux survivants. Ceux-ci recourent au Tribunal cantonal de Genève qui leur donne raison : la probabilité est plus forte pour un accident que pour un suicide.

Mais l’assureur Bâloise recourt au Tribunal fédéral (TF).

Cette autorité rappelle que dans le doute, l’instinct de survie fait qu’on ne peut présumer qu’une personne veut se suicider.

En l’espèce toutefois, les premiers juges auraient dû suivre l’expert. Celui-ci expliquait en effet que le trouble dépressif était important. Il y avait eu une semaine d’arrêt de travail peu avant. Les médicaments psychotropes eux-mêmes n’étaient pas suffisamment dosés pour, en eux-mêmes, amener l’assuré à se suicider. Le yogourt et la cuillère ont pu être jetés avant le saut fatal, ou alors l’assuré les tenait à la main lors de celui-ci. Les soucis familiaux sérieuses sont attestés. On peut aussi exclure un malaise, car alors l’assuré n’aurait pas été retrouvé sur la chaussée, mais bien sur son balcon. L’expert a aussi fait état de projets suicidaires existants depuis pas mal de temps. Il y a sans doute eu ce soir-là une conjonction d’événements qui ont poussé l’assuré à passer à l’acte. Le fait que dans sa chute l’homme n’a pas heurté la marquise coiffant le rez-de-chaussée donne à penser que l’assuré s’est élancé dans le vide et non qu’il est simplement tombé. L’hypothèse donnée par la famille, à savoir que l’assuré aurait trébuché sur un skateboard, ce qui aurait eu un effet propulsant par-dessus la barrière du balcon, n’est rien d’autre que, précisément, une hypothèse non étayée.

Reste l’hypothèse d’un « raptus », soit une perte de conscience momentanée faisant qu’il n’y aurait pas d’acte volontaire. Cela arrive parfois, mais en l’espèce l’expert n’a pas retenu que l’assuré aurait été victime d’un tel raptus, de sorte que la thèse de la Bâloise (suicide) et plus convaincante que celle de l’accident. Le recours de la Bâloise est admis. La famille n’a droit à aucune prestation.

ATF 8C_453/2016 du 1er mai 2017

Notre commentaire :

Nous trouvons cet arrêt discutable et en tout cas sévère. Dès l’instant où l’on pose la présomption justifiée de l’accident plutôt que du suicide en raison de l’instinct de conservation, il faut des indices forts pour admettre le suicide. Que valent les expertises faites forcément après coup ? L’expert ne peut donner que son avis, mais il ne peut pas faire de constatations personnelles, contrairement à des expertises faites sur des personnes vivantes. Cela relativise d’emblée la valeur probante de telles expertises. L’expert peut certes interroger le psychiatre traitant, qui peut décrire le genre de dépression et ses effets, ainsi que la médication fournie.  Mais si le médecin traitant n’atteste pas d’un véritable risque suicidaire, et qu’il n’y a pas eu de tentatives auparavant, même une forte dépression ne prouve pas que le patient avait l’intention effective de se suicider.

En l’espèce, le TF écarte d’un revers de main l’argument — qui nous semble pourtant avoir une valeur certaine — sur la présence d’un yogourt et d’une cuillère : on imagine mal qu’au moment de se suicider un assuré soit tout à coup saisi d’une faim le poussant à manger un yogourt. Il est vrai cependant que contrairement à un autre cas où un assuré s’était assis sur la rambarde du balcon du quatrième étage, où le suicide n’avait pas été retenu, mais seulement une négligence grave (CASSO VD, arrêt F.  du 8.7.2011 AA 7/09-81/2011) , aucun élément en l’espèce ne permet d’expliquer pourquoi la barrière du balcon n’a pas empêché ce drame, l’hypothèse du skateboard étant insuffisante.

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