La pénurie de logements peut à elle seule justifier une contestation du loyer initial ?

Deux locataires, employés de banque, sont déplacés de Genève à Zurich, où ils doivent impérativement trouver un logement. Sans qu’il soit établi qu’ils ont fait des recherches particulières, ils trouvent un logement de trois pièces et demie dans les combles (assez petit, partiellement mansardé, selon ce que l’on a pu voir à la télévision). Le loyer est cependant très élevé, soit Fr. 3’900.- plus acomptes de charges de Fr. 300.-. Ils contestent ce loyer comme abusif. Le Tribunal des baux, puis le Tribunal cantonal zurichois, leur donnent tort. Ils recourent au Tribunal fédéral (TF). 

Le litige portait essentiellement sur le point de savoir si un locataire qui conteste son loyer initial pour une raison autre que l’augmentation par rapport au loyer du locataire précédent doit prouver une seule ou les deux choses suivantes :

–qu’il a été contraint de conclure le bail par nécessité personnelle ou familiale ou alors (cette conjonction est décisive pour l’issue du litige !)

–qu’il existe une situation de pénurie sur le marché local du logement.

Le TF constate que la doctrine (les commentateurs) est divisée sur la manière de comprendre la jurisprudence établie jusqu’ici : le locataire doit-il prouver à la fois sa situation personnelle de nécessité et l’existence d’une pénurie sur le marché local ou l’un de ces deux facteurs suffit-il ?

Dans la présente affaire, le TF tranche en faveur des locataires, essentiellement pour deux raisons :

–d’une part, le texte légal actuel est tout à fait clair lorsqu’il utilise, et cela de manière voulue, la conjonction « ou », alors que cette conjonction n’existait pas dans l’ancien texte (AMSL)

–il s’agit de protéger la partie faible au contrat, la situation en matière des loyers n’étant guère différente, lorsqu’il y a pénurie, de celle des consommateurs en général : il y a un déséquilibre du marché.

Par conséquent, l’affaire est renvoyée au Tribunal cantonal de Zurich pour qu’il entre en matière sur l’argument du loyer abusif.

ATF 4A_691/2015 du 18 mai 2016 destiné à publication

Notre commentaire :

Cet arrêt ne peut qu’être approuvé, tant il paraît conforme au texte légal et à la volonté du Parlement. Dans la ville de Zurich, il n’y avait que 0.11 % de logements vacants. La pénurie y est donc évidente. Chaque logement libre, offert sur le marché à un prix raisonnable, voit défiler des dizaines et des dizaines de candidats. Reste que les critères d’un loyer non abusif ne sont pas évoqués dans l’arrêt : le TF ne dit pas quel loyer serait admissible. Cela se comprend : c’est à l’autorité cantonale de faire les calculs. Comment va-t-elle procéder ?

On est dans la « méthode absolue » : le loyer sera abusif s’il procure au bailleur un rendement de ses fonds propres, réputés constituer 40 % de la valeur de l’objet, de plus de 1/2 % supérieur au taux hypothécaire de référence (actuellement 1,75%). Exemple : si un logement (par hypothèse : 80 m² à Fr. 10’000.- le mètre carré) a coûté Fr. 800’000.-, le 40 %, soit Fr. 320’000.- pourra être rentabilisé à environ 2,25 %. La part des loyers qui servira à couvrir ce rendement des fonds propres sera donc de Fr. 7’200.- par an. Le solde devra servir à couvrir le 60 % de la valeur, soit Fr. 480’000.- au taux hypothécaire de référence de 1.75 %, ce qui donnera Fr. 7’200.- par an. Les charges du bailleur (charges de PPE etc.) représenteront environ 1 % du tout, soit Fr. 8’000.-. Si l’on additionne ces trois postes, on arrive à 7’200.- + 8’400.- + 8’000.-, ce qui donne 23’600.-, soit environ Fr. 2’000 par mois. À vrai dire, la réalité actuelle du marché est telle que l’immense majorité des loyers pourrait être taxée d’abusifs selon cette méthode absolue de calcul…

 

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