Rente d’invalidité: toujours la question de la reconsidération ou de la révision

Un assuré souffre, à la suite d’un accident professionnel, d’un état de stress post-traumatique et il est au bénéfice d’une rente AI entière depuis 2001. L’office AI fait procéder à une révision en 2011, avec une expertise qui aboutit à considérer que l’assuré peut travailler à 80 %. Au vu de cette expertise, cet office estime que la décision de rente rendue à l’époque (c’est-à-dire en 2004, avec effet rétroactif en 2001) était gravement erronée, de sorte qu’elle devait être « reconsidérée » pour l’avenir et que la rente devait être supprimée. L’assuré, en désaccord avec cette suppression de rente par voie de reconsidération, dépose un recours au Tribunal cantonal fribourgeois. Celui-ci estime que certes la décision de l’époque n’était pas insoutenable, mais qu’en revanche l’état de santé de l’assuré, selon l’expertise, s’était amélioré depuis 2004. Par substitution de motifs, l’autorité cantonale admet dès lors une « révision » en lieu et place de la « reconsidération » ; les conséquences sont exactement les mêmes pour l’assuré, à savoir que sa rente est supprimée. Il recourt au Tribunal fédéral (TF).

Le TF rappelle tout d’abord qu’on ne saurait accepter une reconsidération simplement parce que, aujourd’hui, on apprécierait différemment la situation médicale de l’époque. Par conséquent, il était justifié de ne pas retenir en l’espèce une reconsidération. Y a-t-il pour autant matière à révision ?

L’assuré estime que la nouvelle expertise constitue tout simplement une appréciation différente, faite aujourd’hui, d’une situation qui n’a tout simplement pas évolué depuis plusieurs années. S’il n’y a pas eu d’évolution, il ne peut y avoir de révision (sauf le cas, à vrai dire peu fréquent, où un état de santé inchangé entraîne néanmoins une modification, en milieu ou en pire, de la capacité de travail). Se penchant sur l’expertise, le TF constate que  les experts eux-mêmes avaient indiqué que l’état de santé était resté inchangé depuis en tout cas l’été 2003. Dès lors, selon le TF, « la lecture du jugement attaqué ne permet pas de déterminer sur quels faits objectifs les premiers juges se sont fondés pour considérer que l’état de santé du recourant avait évolué de manière positive. (Cela) ne transparaît (…) nullement de la teneur des conclusions rapportées dans l’expertise ». Pour le TF, le fait que les experts mis en œuvre lors de la révision indiquent qu’en 2001 déjà l’expertisé pouvait à leur avis travailler montre bien qu’ils procèdent en réalité à une appréciation nouvelle d’un état de santé inchangé. Par conséquent, il ne peut y avoir de révision (et pas davantage de reconsidération !). Le recours est ainsi admis, ce qui a comme conséquence que le versement de la rente se poursuit. Le recourant à droit aux dépens habituels de Fr. 2800.

ATF 9C_818/2015 du 22 mars 2016

Notre commentaire :

À nouveau, le TF met un frein aux tentatives répétées de l’AI de supprimer les anciennes rentes. Bien souvent, les offices AI cherchent à utiliser la voie de la reconsidération, mais ils se heurtent alors à l’exigence qu’il ne suffit pas, aujourd’hui, d’émettre une appréciation différente qu’à l’époque. S’ils tentent, au contraire, d’utiliser la voie de la révision, ils se heurtent alors à la difficulté de démontrer une évolution de l’état de santé depuis la dernière fixation de rente ou depuis la dernière révision ayant examiné en détail le degré d’invalidité.

Cela dit, précisons que la substitution des motifs par les tribunaux cantonaux est en soi admissible, avec toutefois la restriction qu’elle doit être annoncée au préalable au recourant, lequel ne doit pas être « surpris » par un jugement de substitution de motifs. Lorsque ni la révision ni la reconsidération ne sont admises, il n’y a en principe pas de renvoi à l’administration, les prestations continuant d’être versées.

Cet arrêt du 22 mars 2016 doit être approuvé.

Signalons un arrêt restrictif sur la reconsidération elle-même, rendu 2 jours plus tard : 9C_770/2015 du 24 mars 2016, avec rappel des principes.

 

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