Contestation du loyer initial : quid lorsqu’on ne peut pas calculer le rendement ?

Les nouveaux locataires d’un appartement de trois pièces à Lausanne contestent le loyer initial de Fr. 1380.- plus charges, payé par le précédent locataire. Ils estiment en effet que ce loyer rapporte au propriétaire un rendement excessif, compte tenu du fait que l’immeuble avait été transféré 10 ans auparavant d’une société immobilière à son actionnaire unique, pour un prix relativement bas. En fait, le prix mentionné dans l’acte de transfert n’était pas le prix effectif, mais simplement celui imposé par les autorités fiscales. Le propriétaire s’est opposé à cette demande de baisse de loyer initial, en faisant valoir qu’il ne disposait pas des documents en question (indication du prix effectivement payé). Sur la seule base du prix mentionné dans l’acte (valeur purement fiscale), le rendement est manifestement excessif. En calculant le rendement selon eux admissible, les locataires estiment que le loyer doit être compris entre Fr. 500.- et Fr. 600.- par mois seulement. Ils obtiennent gain de cause en première instance, mais ils perdent en appel : la Cour d’appel admet les Fr. 1380.-. Les locataires déposent donc un recours au TF.

Cette autorité se considère liée par la constatation de la Cour d’appel selon laquelle « la bailleresse était dans l’impossibilité de démontrer quel était ce prix (de transfert), notamment parce qu’elle ne disposait d’aucun document en mesure de l’établir, sans que l’on puisse lui reprocher cette carence ». Certes, le TF rappelle que « si aucun document n’est remis au juge, ou si les pièces fournies sont insuffisantes pour établir le rendement net, le juge doit néanmoins statuer sous peine de commettre un déni de justice ». Mais si les pièces ne sont pas disponibles, « il faut distinguer selon que l’on peut ou non imputer cette carence au bailleur ».

En l’occurrence, le TF a laissé ouverte la question de savoir si le bailleur n’aurait pas dû avoir des pièces à disposition permettant d’établir quel a été le prix effectivement payé, nettement supérieur au prix admis par l’administration fiscale. En effet, il existe des statistiques communales suffisantes montrant qu’un loyer de l’ordre de Fr. 1200.- pour un trois-pièces à Lausanne était correct. Le résultat auquel la Cour d’appel a abouti n’est donc pas critiquable. Le recours est ainsi rejeté. Le loyer reste fixé à Fr. 1380 plus charges. Les frais du TF par Fr. 5000.- et les dépens par Fr. 6000.- sont à la charge des locataires.

4A_461/2015 du 15.2.2016

Notre commentaire :

À lire cet arrêt, on ne comprend pas très bien quelles raisons la partie bailleresse a pu donner pour expliquer qu’elle ne disposait pas de pièces relatives au prix d’acquisition effectivement payé, prix dont elle admet pourtant elle-même qu’il est supérieur à celui indiqué dans l’acte ! Certes, plus de 10 ans s’étaient écoulés depuis l’acte lui-même, mais les documents relatifs à une valeur d’acquisition doivent être conservés.

De deux choses l’une en effet : soit le prix payé était effectivement celui indiqué dans l’acte et le rendement était alors excessif, soit le prix payé n’était pas celui indiqué dans l’acte, mais un prix supérieur, et la connaissance de ce prix supérieur — admis par la partie bailleresse ! — devait être possible, d’autant qu’il y avait des crédits hypothécaires. L’arrêt ne dit d’ailleurs pas formellement que l’acquéreur ne connaissait pas le prix effectivement payé ; il dit que cet acquéreur n’a plus les documents nécessaires. Mais la banque devait encore avoir son estimation, ou du moins la demande de crédit présentée par l’acquéreur, faisant ressortir le prix d’acquisition ou la valeur d’estimation…

Le recours à des statistiques assez vagues au demeurant — admis ici par le TF — en lieu et place du prix effectivement payé nous semble critiquable, alors que l’on discute du rendement et non des « loyers usuels ». Certes, lorsqu’il y a transfert d’un immeuble au sein d’une même entité économique, ou dans le cadre de la liquidation d’une succession, on indique en général des prix très bas, ne correspondant pas au prix du marché, cela pour économiser des impôts. Mais alors le risque devrait être la charge de l’acquéreur, qui devrait se voir opposer ce prix artificiellement bas, lorsqu’il y a ultérieurement un calcul de rendement.

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