Média et justice : un arrêt fondamental du TF

X est jugé pour des propos racistes sur Internet : il a dit notamment qu’il faudrait une nouvelle « nuit de cristal », cette fois-ci contre les mosquées. Selon lui, les musulmans devraient être placés contre un mur et fusillés, car il y aurait ainsi « moins de merde sur la terre ».

Pour son procès, X demande et obtient du juge pénal une décision selon laquelle la presse ne doit pas mentionner son nom, ni publier des photos de lui et faire en sorte que son âge, son lieu de domicile, son employeur et son adresse Internet ne soient pas connus.

Sur recours des journalistes visés par cet ordre, le Tribunal cantonal de Zurich corrige cette interdiction dans le sens que la presse aurait le droit de publier uniquement le nom et l’âge de l’accusé, mais pas les autres éléments. Recours des journalistes au Tribunal fédéral.

Cette autorité rappelle tout d’abord à quoi sert la liberté de la presse. C’est un élément essentiel de la démocratie. En outre, les médias constituent un lien entre l’État et le public. Ils servent également au contrôle des activités étatiques. La Constitution fédérale garantit la liberté des médias et interdit la censure (article 17). La liberté des médias peut également se déduire de l’article 10 CEDH, même si elle n’y est pas expressément mentionnée. Par ailleurs, la justice est publique, sauf cas exceptionnels.

Le Code de procédure pénale (article 70) indique clairement les circonstances dans lesquelles on peut exclure le public d’une audience. De plus, les journalistes accrédités ont certains privilèges, notamment lorsqu’on leur accorde le droit d’assister à une audience dont le public « ordinaire » est exclu. En conséquence, on peut leur demander d’être relativement discrets dans leurs articles.

Ici toutefois, le TF relève que le public était admis d’une manière générale. Or, les interdictions prononcées par le juge ne visaient que les journalistes et non le public en général, lequel avait toute possibilité de diffuser tous les éléments notamment via les réseaux sociaux.

En outre, l’accusé était ici une personnalité connue, qui de ce fait ne peut prétendre à une protection de ses droits de la personnalité aussi forte que s’il s’agissait d’un simple quidam.

L’atteinte portée à la liberté des médias est grave. Une telle atteinte nécessite une base légale solide. Or, il existe ici aucune base légale valable. L’interdiction prononcée contre les journalistes de publier l’adresse du site Internet de l’accusé est d’autant moins justifiée qu’il suffit d’utiliser le moteur de recherche « Google » pour tomber sur ce site.

Par conséquent, le recours doit être admis.

ATF 1B_ 169/2015 et 1B_177/2015 du 6 novembre 2015, arrêts destinés à publication.

Notre commentaire :

Il s’agit d’un arrêt important pour la liberté de la presse. Étaient ici en balance d’un côté les droits de la personnalité de l’accusé, et d’un autre côté l’intérêt public à pouvoir suivre un procès contre un raciste anti-musulman, lequel était une personnalité relativement connue, qui se mettait elle-même en évidence sur Internet.

D’une manière générale, les chroniques judiciaires respectent l’anonymat des accusés. C’est d’ailleurs également le cas du TF lui-même qui, depuis plusieurs années, n’indique plus le nom des parties.

Ce n’est en effet pas seulement la personnalité des parties qui est en jeu, mais également celle des membres de leur famille. Il n’est pas bon, en particulier, que les accusés soient jetés en pâture dans les médias. Cela reviendrait à réintroduire d’une certaine façon l’ancien supplice du « pilori ». Ce respect des personnalités vaut également d’ailleurs pour les procès civils.

Cette affaire a cependant donné au TF — pour la première fois semble-t-il — l’occasion d’un début de réflexion sur les réseaux sociaux. Ceux-ci sont tellement répandus qu’il est difficile d’interdire à un média de mentionner un site Internet, est encore plus lorsque le propriétaire de ce site cherche lui-même à se faire connaître et publie des blogs. Autrement dit : celui qui se met en scène par un site Internet ou par des blogs ne peut pas exiger ensuite une « anonymisation » dans la presse.

Nous approuvons donc cet arrêt, qui ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits de la personnalité des justiciables, et qui souligne le rôle important des médias.

 

 

 

 

 

-commentaires (0)-

Publier un commentaire