Assurance sociale et droit pénal : quand un délit est-il réalisé ?

Un assuré est en incapacité totale de travail, couverte par la Suva. Néanmoins, sans informer complètement la Suva, il effectue une petite activité non rémunérée. Il est condamné en instance cantonale pour tentative d’escroquerie au détriment de la Suva. Il dépose un recours au Tribunal fédéral, qui organise une audience publique (ce qui signifie que les juges n’étaient pas d’accord entre eux).

 Le TF rappelle tout d’abord que la question qui se pose est avant tout celle du  » délit impossible « . Il y a délit impossible lorsque l’auteur désire commettre une infraction, mais que celle-ci se révèle objectivement impossible. L’exemple classique est le  » délit impossible d’assassinat  » : l’auteur tire sur une personne qu’il croit endormie, alors que cette personne est déjà décédée.

Y a-t-il ici un  » délit impossible  » en ce sens que l’assuré, en cachant qu’il travaillait, voulait obtenir des prestations de la Suva auxquelles il n’avait pas droit ?

Le TF estime qu’un  » délit impossible  » ne peut être retenu que si l’atteinte à l’ordre juridique envisagé par l’auteur a une certaine importance. De même, des tentatives d’atteinte à l’ordre juridique qui seraient naïves ou ridicules n’entrent pas dans cette notion et ne sont donc pas punissables.

Or, en l’espèce, l’assuré était bien en incapacité de travail. Le fait d’avoir caché cette petite activité non rémunérée n’était pas de nature à porter le moindre préjudice ni à la Suva, ni à l’ordre juridique en général. Personne n’a été trompé. L’assuré n’a pas obtenu des prestations auxquelles il n’avait pas droit. Il doit être acquitté.

ATF 6B_183/2014 du 28 octobre 2014, publié sous 140 IV 150.

 

Notre commentaire :

Nous approuvons cet arrêt, qui n’allait pas de soi. En effet, d’une manière générale, les assurés sont tenus de donner des renseignements exacts sur leur situation et l’évolution de celle-ci, de manière à éviter que les assureurs sociaux soient trompés et fournissent des prestations indues. Toutefois, le Tribunal fédéral souligne à juste titre que l’atteinte à l’ordre juridique et aux intérêts d’autrui, en l’occurrence des assureurs sociaux, doit avoir une certaine importance. C’est l’adage latin  » de minimis non curat praetor » (le juge ne s’occupe pas des broutilles). La question du  » délit impossible » est toujours délicate : s’il est juste de punir l’intention délictueuse, encore faut-il que cette intention soit de nature à entraîner des effets vraiment négatifs pour l’ordre juridique. Pour mieux comprendre cette notion de  » délit impossible « , prenons l’exemple d’un piéton qui, au moment où il s’engage pour traverser au feu rouge (donc à commettre une infraction de piéton), voit que le feu passe au vert pour les piétons. L’intention était  » délictueuse « , mais comme la situation objective a changé, le délit est devenu impossible. Une sanction est ici exclue, faute d’une atteinte grave et même d’une atteinte tout court à l’ordre juridique…

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