Dommages professionnels tardifs (amiante etc) : prescription ?

Comme on a pu le lire partout, la « Petite Chambre » de la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg a donné tort à la Suisse, en estimant que la jurisprudence constante du TF sur la péremption et la prescription aboutissait à priver les lésés et leurs familles d’un procès équitable (§ 6 CEDH).

En effet, selon ces jurisprudences (126 II 145, 127 III 257; 134 IV 297 ; 136 II 187), le point de départ du délai de 10 ans se situe au dernier acte dommageable (ici : l’exposition à l’amiante). Or, le problème des dommages tardifs, qu’il s’agisse d’amiante, de radioactivité (cas des ouvrières mettant du radium sur des aiguilles de montres), de substances toxiques etc., est que la maladie peut se déclarer bien après ce délai; il en va ainsi du mésothéliome (cancer de la plèvre) causé par l’amiante. Or, une personne ne peut pas agir avant de savoir qu’elle a subi un dommage…

La Cour rappelle que la Suisse est au courant de cette problématique, vu les travaux législatifs en cours pour changer cela.

Mais les lésés ne peuvent attendre…

La Cour estime qu’en continuant d’appliquer sa jurisprudence stricte, le TF, donc la Suisse, empêche les victimes de faire valoir leurs droits, en bloquant leurs actions grâce au « mur de la prescription », auquel elles se heurtent nécessairement. Se référant à sa jurisprudence Esim c. Turquie (No. 59601/09 du 17.9.2013), où il s’agissait d’une balle de revolver logée dans la tête et découverte avec un retard de 17 ans (!), la Cour a estimé que dans de tels cas le délai de prescription est trop bref, puisqu’il expire avant même la connaissance du dommage.

( 1 opinion dissidente du Juge  Lemmens ; 1 opinion concordante du Juge Spano, demandant toutefois que les Etats adoptent des délais de prescription suffisants pour « la grande majorité des cas »)

Arrêt du 11.3.2013, encore susceptible d’appel de la Suisse à la Grande Chambre

 

Notre commentaire :

Enfin ! Bravo à Mes David Husman, ainsi que Philip Stolkin, et à leurs clients, pour leur persévérance. Ils ont réussi à ouvrir la porte aux victimes de préjudices à long terme (invalidité, décès). Ici, il y avait une action tant contre la SUVA (qui certes fournissait ses prestations légales pour maladie professionnelle,  mais n’avait pas pris les mesures préventives nécessaires contre l’amiante), que contre l’employeur (art 328 CO). Cela dit, il faut toujours, pour les accidents ou maladies causés avant le 1.1.2003,  examiner si l’employeur a ou non commis une faute grave, vu l’art. 44 LAA abrogé à cette date. Après le 1.1.2003, une action en responsabilité civile contre l’employeur n’est plus restreinte aux cas de « faute grave ».  Ici cette question de faute grave n’avait pas à être examinée par la Cour, le recours étant limité à la question de la prescription ; il nous semble cependant que l’exposition à l’amiante était connue comme dangereuse dès le début des années 1970 voire avant (interdiction du flocage vers 1975, interdiction générale de l’amiante en 1989), de sorte que la faute grave paraît réalisée.

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