Rénovations lourdes : quand un locataire peut-il rester ?

Un locataire depuis 1983 se voit résilier son bail au motif que l’immeuble doit être entièrement rénové (colonnes de chute, électricité, toilettes et cuisines notamment). Selon le bailleur, ce locataire ne pourrait pas rester dans l’appartement durant les travaux. Le Tribunal des baux annule la résiliation : il juge que cette rénovation n’est pas indispensable techniquement et que le vrai but du bailleur est de relouer à un loyer supérieur. Au contraire, la Cour d’appel civile admet la validité de la résiliation, tout en accordant au locataire une prolongation de 3 ans jusqu’au 31 mars 2014. Celui-ci recourt au Tribunal fédéral en demandant que cette autorité juge de la même manière que le Tribunal des baux (annulation de la résiliation), très subsidiairement il conclut à une prolongation jusqu’au 31 mars 2015 (4 ans, prolongation maximale).

Le TF rejette le recours et valide ainsi le point de vue de la Cour d’appel.

Il ne juge pas que le bailleur agit de manière contraire à la bonne foi en voulant faire de gros travaux dans un immeuble qui, comme en l’espèce, n’a plus été rénové depuis 30 ans.

La résiliation ne serait contestable que dans les cas où la présence du locataire ne complique pas trop les travaux ( p.ex. lors de simples réfections de peinture, des façades, des balcons, etc.). Le propriétaire est en droit, en règle générale, « d’entretenir et d’améliorer l’état de son immeuble comme bon lui semble et de procéder à des travaux d’entretien ou de rénovation même s’ils ne sont pas urgents ou absolument nécessaires ». Il faut dire qu’ici le locataire avait lui-même demandé des travaux de réfection.

Pour ce qui est de la possibilité ou non, pour le locataire, d’occuper l’appartement durant les travaux, le locataire aurait dû démontrer devant le Tribunal fédéral que l’avis de la Cour d’appel soulignant cette impossibilité était arbitraire. Le TF ajoute : « la réfection totale de la cuisine et des salles d’eau est plus compliquée si le locataire occupe l’appartement, car il ne peut être totalement privé de l’usage de ces installations durant des jours ».

Le locataire présentait un autre argument : il était prêt à quitter son appartement durant les 6 semaines que dureraient les travaux. Cette « offre » du locataire a cependant été jugée tardive par le TF, qui écrit : « Un congé abusif ne se conçoit dès lors que si le bailleur a résilié le contrat alors qu’il avait la garantie que, le moment venu, le locataire irait se loger ailleurs le temps que les travaux soient terminés. Il faut d’une part que le locataire ait pris l’engagement avant la résiliation, un engagement ultérieur ne saurait a postériori transformer un congé licite en un congé abusif. Il faut d’autre part que l’engagement soit sérieux; on ne saurait exiger du bailleur qu’il renonce à mettre fin au contrat de bail sur la base de vagues promesses du locataire, sauf à rendre illusoire la possibilité de résilier le bail en vu de procéder à des travaux importants. En l’espèce, le recourant a certes déclaré être prêt à quitter l’appartement durant les travaux. Il ne s’agit-là toutefois que d’une simple déclaration orale sans autre précision ni garantie. Le recourant ne prétend pas avoir une autre possibilité de logement. En outre, il n’a pas été constaté que le recourant aurait pris cet engagement avant que le congé soit donné ».

En définitive, le temps laissé par la Cour d’appel au locataire pour se retourner, soit environ 3 ans, est suffisant. Le recours est rejeté.

ATF 4A_126/2012 du 3 août 2012

Notre commentaire :

On peut certes admettre qu’un locataire ne puisse « s’incruster » durant des années et empêcher ainsi de gros travaux. Toutefois, lorsqu’un locataire est prêt à laisser le chantier se dérouler sans lui, nous estimons que l’exigence posée par le Tribunal fédéral d’une promesse sérieuse du locataire dans ce sens, émise avant même de recevoir le congé, est irréaliste. Elle équivaut à « mettre la charrue avant les bœufs » : en général, le bailleur résilie d’abord et ce n’est que si la motivation de cette résiliation est demandée qu’il déclare alors seulement qu’elle est intervenue pour permettre de gros travaux. Seuls les bailleurs un peu naïfs annonceront à l’avance qu’ils envisagent de résilier le bail pour de gros travaux, au risque d’offrir au locataire – dont on veut par ailleurs voir les talons  – la possibilité de préparer une solution de rechange (en s’organisant pour laisser l’appartement vacant pendant les travaux et y rester ensuite). Un bailleur – supposé non naïf – qui envisage de relouer plus cher après les travaux ne prendra pas le risque de laisser en place son ancien locataire, qui paie encore un loyer modéré. En d’autres termes, nous estimons que le Tribunal fédéral fait une erreur de raisonnement quant à la chronologie des opérations.

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