Accidenté rendu totalement invalide : quand la perte de revenus de son conjoint est-elle indemnisable en LAA ?

Lors d’un accident du travail (explosion de gaz) un assuré a été gravement brûlé et il est tombé de 8 m. Il est reconnu invalide à 100 % par la Suva, qui lui paie en outre une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 87.5 %. Comme il touche en outre une rente AI, la rente Suva est plafonnée. La question qui se pose est celle de savoir si le plafond se situe à 90 % du gain perdu par la victime ou s’il se situe beaucoup plus haut, parce qu’on pourrait englober encore le revenu perdu par son épouse, également rendue invalide par le choc psychologique qu’elle a subi à cause de cet accident.

L’assuré invoque en effet l’article 69 al. 2 de la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) :

« Il y a surindemnisation dans la mesure où les prestations sociales légalement dues dépassent, du fait de la réalisation du risque, à la fois le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé, les frais supplémentaires et les éventuelles diminutions de revenu subies par les proches. » 

Autrement dit, l’assuré estime qu’il découle clairement de ce texte que le plafond englobe tant son revenu à lui qu’un revenu de son épouse, d’autant que celle-ci a subi, en apprenant que son mari pourrait ne pas survivre à ce grave accident, un choc psychologique tel qu’elle ne peut plus non plus travailler. Il fait valoir en particulier une jurisprudence du droit civil qui considère que, dans certains cas, le dommage indirect est également à la charge du responsable (cette jurisprudence a été inaugurée après un accident militaire ou un père a été rendu psychiquement invalide en voyant ses enfants être tués par la chute d’un avion militaire).

La Suva fait valoir que cette disposition vise non pas l’invalidité indirecte d’un proche du fait du choc psychologique (atteinte indirecte, Schockschaden), mais uniquement l’hypothèse où le proche n’est pas lui-même atteint indirectement mais doit arrêter de travailler pour s’occuper de la victime. Le Tribunal cantonal approuve ce point de vue. Le lésé fait recours au Tribunal fédéral (TF).

Cette autorité procède à une analyse détaillée des travaux parlementaires, afin de déterminer ce que le législateur a réellement voulu en parlant des «  éventuelles diminutions de revenus subies par les proches ». En particulier, on s’est demandé, lors de l’élaboration de la loi, s’il fallait que le proche aidant perde un revenu de travail à l’extérieur ou s’il suffit qu’il doive consacrer du temps pour s’occuper de la victime. Autrement dit : la valeur du travail de soins doit-elle être englobée dans les calculs ? Autre est évidemment la question du préjudice indirect que le proche subit lui-même du fait de l’accident (Schockschaden).

En définitive, le TF adopte une définition étroite de cette norme : on ne peut tenir compte que d’un revenu professionnel auquel le proche aidant doit renoncer pour s’occuper de la victime. En outre, l’art. 69 al. 2 ne s’applique pas si le proche perd un revenu professionnel parce qu’il devient lui-même (indirectement) invalide. Cette disposition permet uniquement de tenir compte d’une perte de revenu professionnel du proche en raison du fait qu’il doit s’occuper de la victime.

Dès lors, le plafonnement doit se limiter au revenu de la victime. Il n’y a pas lieu de tenir compte du revenu de l’épouse. La thèse de la Suva est admise et la rente reste bel et bien réduite par ce plafonnement, nettement plus bas que si les deux salaires avaient été pris en compte. Le recours de l’assuré est rejeté.

8C_523/2019 du 21 janvier 2020 destiné à publication

Notre commentaire : 

On peut comprendre ce raisonnement au regard du texte de la loi et du processus d’élaboration de celle-ci. Toutefois, deux remarques s’imposent :

– Il est dommage que l’on maintienne cette divergence entre le droit civil, qui admet, dans les cas graves, le préjudice indirect en raison du choc psychologique subi par le proche, et le droit des assurances sociales qui refuse d’en tenir compte, en tout cas dans les calculs de surindemnisation ;

– On peut se demander si l’épouse ne devrait pas avoir droit aussi, à supposer qu’elle ait eu un emploi au moment de l’accident de son mari, à une rente propre LAA(après tout, elle a également subi, indirectement, un «  accident ») ; de toute façon elle a droit à une rente AI puisqu’elle est elle-même invalide

 

 

 

 

 

 

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