Traiter quelqu’un d’alcoolique peut être diffamatoire

Un courtier d’assurances est licencié et se lance alors dans une activité concurrente. L’ancien employeur rencontre des clients et leur indique que cet ancien employé a des problèmes d’alcool. Sur plainte de celui-ci, l’ancien employeur et condamné par deux instances cantonales genevoises pour diffamation. Il dépose un recours auprès du Tribunal fédéral (TF).

Le TF rappelle la « mécanique » de l’article 173 du Code pénal : le fait d’accuser une personne de tenir une conduite contraire à l’honneur est punissable. En principe, l’accusateur peut prouver que les faits sont vrais ou qu’il avait des raisons sérieuses de les croire vrais. Toutefois — et là est la difficulté — « l’inculpé ne sera pas admis à faire ses preuves et il sera punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l’intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d’autrui, notamment lorsqu’elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille ».
Cette disposition protège la réputation d’être un individu honorable selon les conceptions généralement reçues. On a certes le droit de critiquer la manière dont une personne exerce son métier ou les œuvres qu’elle a produites. Toutefois, il était justifié ici de ne pas autoriser l’ancien employeur à prouver le prétendu alcoolisme de son employé. Il devait au contraire protéger la personnalité de celui-ci. Il a agi uniquement dans le dessein de nuire, spécialement en ce qui concerne l’exercice de ses nouvelles activités, manifestement concurrentes. Le condamné plaide cependant à tort qu’on est dans un cadre strictement professionnel. La cour cantonale a eu raison de dire que le fait de prêter à cet ancien employé une consommation excessive d’alcool durant les périodes de travail ne relevait pas d’une appréciation de ses qualités professionnelles, mais dépeignait l’intéressé comme une personne adoptant une attitude moralement réprouvée (se laisser tomber sous l’emprise de l’alcool). Le recours doit être rejeté et la condamnation de l’ex-employeur est justifiée.

ATF 6B_1268/2019 du 15 janvier 2020

Notre commentaire :

Cet arrêt doit être approuvé. Certes, l’alcoolisme est en soi plutôt une maladie qu’un « comportement moralement répréhensible». Néanmoins, dans le contexte de cette affaire, les allégations d’alcoolisme n’avaient effectivement pour but que de « noircir » un concurrent. On aurait même pu penser à appliquer la Loi fédérale sur la concurrence déloyale, qui prohibe le « dénigrement » d’un concurrent. Ce qui est aussi intéressant est le fait que le TF a évoqué le devoir — qui perdure après la fin des rapports de travail — de protéger la personnalité de l’ancien employé.

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