Assurance casco : le système « valeur à neuf » est-il valable ?

 

Le véhicule de l’assuré est entièrement détruit. En annonçant le sinistre, l’assuré indique qu’il a payé ce véhicule € 50’000. C’était un mensonge : le prix était de € 25’000 seulement. Il y avait cependant une couverture « valeur à neuf », avec indication des pourcentages de dépréciation, durant les premières années, par rapport à cette « valeur à neuf ».

L’assureur s’aperçoit que le prix indiqué par l’assuré était faux. Il refuse de payer en invoquant une fraude à l’assurance.

L’assuré admet certes le mensonge, mais indique que cela n’a aucune influence sur les obligations de l’assureur, qui ne tiennent pas compte du prix payé. Il faut selon lui se baser uniquement sur le prix de catalogue. Il réclame donc environ Fr. 53’000.-. Il perd en première instance, mais gagne en appel. L’assureur recourt au Tribunal fédéral, faisant valoir notamment une clause de ses  conditions générales prévoyant que « lorsque le prix d’achat effectif est plus bas que les valeurs résultant du barème des valeurs à neuf, l’indemnité est au maximum égale au prix d’achat effectif, au minimum égale à la valeur actuelle. »

 

Le TF rappelle sa jurisprudence en matière de contrats d’adhésion : les clauses inhabituelles des conditions générales ne sont pas valables. Toutefois, l’ensemble du système de la couverture « valeur à neuf » est valable malgré l’article 62 LCA, qui est impératif (article 97 LCA) et qui dispose : « la valeur de remplacement doit être calculée d’après la valeur que représentait l’intérêt assuré au moment du sinistre ». Il n’y a rien à redire non plus à la clause relative au prix d’achat plus bas que les prix « valeur à neuf ».

Par conséquent, il était faux, de la part de la Cour d’appel, d’admettre l’action. L’arrêt doit être annulé et la cause doit être renvoyée à la Cour d’appel, qui — vu la solution qu’elle avait adoptée — n’a pas examiné si un accord particulier avait été passé entre les parties, dérogeant aux conditions générales.

ATF 4A_119/2015 du 3 juin 2015

Notre commentaire :

Cet arrêt est tout d’abord très utile en ce sens qu’il rappelle la jurisprudence la plus récente en matière de conditions générales imprimées (contrats d’adhésion). Il rappelle aussi que le seul fait qu’une clause imprimée soit usuelle dans une branche ne signifie pas encore qu’elle soit admissible sans conditions, c’est-à-dire qu’elle puisse être opposée à un cocontractant extérieur à la branche en question.

Il est admissible de s’assurer en « valeur à neuf », avec une cautèle pour le cas où cette valeur n’est pas le prix catalogue, mais bien un prix inférieur payé. Toutefois, en cas d’assurance avec « valeur à neuf », il est vrai que l’assuré se trouve en général, financièrement, dans une meilleure situation après le sinistre que si celui-ci ne s’était pas produit. En effet, l’indemnité est supérieure à la valeur actuelle sur le marché. Ce système vise à permettre à l’assuré de s’acheter un nouveau véhicule. On peut comparer cela avec l’assurance-incendie, qui offre en général une indemnité permettant la reconstruction de l’immeuble, donc une indemnité supérieure à la valeur objective de l’immeuble ancien.

Les milieux proches des assureurs critiquent cet arrêt du Tribunal fédéral. Ils font valoir en particulier (Fuhrer, dans HAVE/REAS 2015, p. 410) que l’article 62 LCA, auquel les parties ne peuvent pas déroger, limite obligatoirement l’indemnité à « la valeur que représentait l’intérêt assuré au moment du sinistre ». Autrement dit, le Tribunal fédéral a admis ici une dérogation à une loi impérative, et il n’avait pas le pouvoir de le faire. Cette critique n’est effectivement pas dénuée de rigueur juridique. Soit une norme est impérative, soit elle ne l’est pas. Si elle est impérative, aucune des parties ne peut y déroger. On s’étonne toutefois que cette critique vienne des milieux des assureurs, qui proposent précisément des assurances « valeur à neuf ». Si cela n’est pas possible, pourquoi le font-ils ? On peut imaginer qu’ils y trouvent un intérêt financier, notamment par des primes élevées. Nous rejoignons cependant la réflexion de Fuhrer, à savoir que la LCA actuelle, qui date de 1908 (!) n’est à bien des égards plus adaptée à la réalité de la vie économique actuelle.

 

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