Accident de rafting : l’école est-elle responsable ?

Une école zurichoise organise, pour une classe d’adolescents, une journée de rafting sur la Sarine. A l’endroit appelé « Gorges du Vanel », un bateau avec plusieurs jeunes se retourne. Malheureusement, une jeune fille de 15 ½ ans reste accrochée par son gilet de sauvetage à une branche. Ce n’est qu’en coupant le gilet en question que, finalement, on réussit à la sortir de l’eau, malheureusement grièvement blessée. Transportée par hélicoptère à l’Hôpital de Berne, elle décède de ses blessures.

Les parents et la sœur de la victime ouvrent action pour réclamer du tort moral, mais leur action est rejetée tant en première qu’en deuxième instances. Ils saisissent donc le Tribunal fédéral.

La norme légale applicable, dit cette autorité, est la loi cantonale zurichoise prévoyant que le canton de Zurich est responsable si l’un de ses employés, dans l’exercice de sa fonction, cause à un tiers, de manière illicite, un préjudice. La première question est celle de savoir s’il faut ou non une faute du ou des employés de l’Etat. Le Tribunal fédéral écrit : « Il est vrai que la responsabilité de l’Etat, selon le texte de la loi, est une responsabilité causale (c’est-à-dire sans qu’il faille nécessairement une faute de l’Etat), mais la pratique exige en outre que l’employé étatique ait commis une négligence, ce que reconnaît expressément la famille de la victime ».

 

Y a-t-il eu négligence dans le choix du parcours ? Une expertise démontre que, pour des jeunes d’environ 15 ans même sans aucune expérience d’eau vive, les Gorges du Vanel sont considérées comme étant d’un degré de difficulté non excessif.
La famille de la victime faisait valoir que  selon l’expertise il fallait absolument éviter un chavirage à cet endroit; mais, dit le Tribunal fédéral, le risque de chavirage était particulièrement faible (même s’il s’est produit à la suite d’une collision entre les bateaux des deux groupes qui descendaient simultanément la rivière).

De plus, il n’y a pas eu de faute parce que l’enseignant avait choisi un guide qui organisait régulièrement de telles descentes de rivière.

La famille faisait aussi valoir qu’il aurait fallu, avant de franchir ce passage, procéder à une reconnaissance à pied. Mais le TF dit que cela n’aurait rien changé.

L’arrêt examine ensuite des questions liées à des documents (exonération de responsabilité) que les élèves et les parents devaient signer, mais ce n’est pas pertinent selon le TF parce qu’on peut admettre que si ces documents avaient été établis correctement, ils auraient été signés sans autre (volonté dite hypothétique).

En définitive, le Tribunal fédéral – lui aussi – rejette l’action. Il estime toutefois qu’au vu des circonstances il ne se justifie pas de mettre des dépens à la charge de la famille et que, par ailleurs, l’assistance judiciaire peut être accordée pour l’instance fédérale, ce qui permet à l’avocat d’office d’obtenir une indemnisation de fr. 2’000.- payée sur la caisse du Tribunal fédéral.

Arrêt 2C_1035/2014 du 27.08.2015

Notre commentaire :

On peut tout d’abord s’étonner de la phrase citée plus haut selon laquelle la responsabilité de l’Etat (le canton de Zurich) serait en principe causale, mais que « la pratique » admet cependant qu’il faut tout de même une négligence. Le TF n’a pas creusé cela puisque la famille de la victime avait admis elle-même qu’il fallait une telle négligence. Si le fondement de la responsabilité avait été purement causal, la question de la négligence ou non des organisateurs ne se serait même pas posée.

S’agissant du risque de chavirage, risque qui devait absolument être évité selon l’expert, on peut se demander si le Tribunal fédéral a eu raison de juger que ce risque était faible et que, par conséquent, il était acceptable. D’une part en effet, le chavirage qui s’est produit montre que le risque n’était pas si faible que cela. D’autre part, l’expert avait dit qu’un chavirage devait à tout prix (« unbedingt ») être évité. Enfin et surtout, du fait qu’il y avait deux bateaux au même endroit et au même moment, dans un courant séparé par un rocher, le risque de collision, donc de chavirage, était présent. Cette circonstance (présence simultanée de deux bateaux) aurait pu amener le Tribunal fédéral à considérer que le risque de chavirage était plus fort que si un seul bateau était descendu au même moment. Sur ce point, l’arrêt nous paraît critiquable. Le même problème se présente lorsque des randonneurs se trouvent sur un manteau neigeux instable : le risque d’avalanche est accru s’il y a une distance insuffisante entre les randonneurs.

Autrement dit et en résumé : sur la base des faits tels que décrits, on aurait pu juger en sens inverse, au moins  en raison du risque de chavirage accru par un risque de collision, qui n’avait semble-t-il pas été évalué par l’expert au moment où celui-ci a expliqué qu’en soi les Gorges du Vanel sont franchissables, à condition qu’il n’y ait pas de chavirage…

 

 

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