Tort moral en cas de décès du partenaire : pas exclu !

Lors d’un accident de la circulation, un homme décède, sans faute de sa part. Son amie, avec qui il vivait depuis 4 ans, réclame une indemnité de tort moral. Le Tribunal cantonal la refuse, parce que la victime était encore mariée et que son épouse, avec qui il était d’ailleurs resté en bons termes, avait droit elle aussi à une indemnité de tort moral. Il serait impossible que deux femmes réclament une telle indemnité. La notion même de mariage serait en jeu !

L’amie recourt au TF, qui lui donne raison.

En effet, les mentalités, même à Fribourg, ont changé- Le concubinage est  devenu très fréquent. Juridiquement, il est pris en compte dans divers domaines de la vie. Il peut donc en eller de même en responsabilité civile.

Extrait du jugement :

Au vu de ce qui précède et de l’évolution sociétale, l’approche majoritaire précitée doit aujourd’hui être approuvée. Le concubin doit pouvoir être considéré comme un « Angehöriger/proche » et ne saurait être exclu du champ d’application de l’art. 47 CO au seul motif qu’il ne serait pas de la « famille ».

2.3.3 Il n’en reste pas moins que la notion de proches doit s’entendre dans une acception restrictive, en ce sens qu’il s’agit des personnes qui vivaient dans l’entourage du défunt et entretenaient avec lui des relations étroites (cf. WERRO, op. cit., n. 15 ad art. 47 CO; dans ce sens également BREHM, op. cit., n. 134 ad art. 47 CO). Seule la personne vivant dans une relation de concubinage stable doit ainsi pouvoir être considérée comme un « Angehöriger » et se voir comme tel reconnaître un droit à une indemnité pour tort moral au sens de l’art. 47 CO.

La relation de concubinage stable n’est pas définie par le droit suisse. Elle doit être comprise comme une communauté de vie d’une certaine durée, voire durable, entre deux personnes, à caractère en principe exclusif, qui présente une composante tant spirituelle que corporelle et économique, et qui est parfois désignée comme une communauté de toit, de table et de lit (cf. ATF 118 II 235 consid. 3b p. 238; plus récemment arrêt 5A_613/2010 du 3 décembre 2010 consid. 2 et arrêts cités).

Dans plusieurs domaines du droit, la portée du concubinage a été appréhendée en fonction de sa durée. Ainsi, selon l’ancien droit du divorce (art. 153 aCC), un concubinage de 5 ans fondait la présomption que le créancier d’une contribution d’entretien, vivant dans une telle relation, tirait des avantages comparables à ceux du mariage, ce qui entraînait la perte du droit à la rente (ATF 118 II 235 consid. 3c p. 239). Sous l’égide du nouveau droit du divorce (art. 129 CC), une suspension conditionnelle de rente, déjà au moment du prononcé du divorce, a été admise au regard d’un concubinage de trois ans (cf. arrêts 5A_81/2008 du 11 juin 2008 consid. 4.1 et 5; 5C_296/2001 du 12 mars 2002 consid. 3b/bb). En matière d’aide sociale, un concubinage est considéré comme stable s’il dure depuis 2 ans au moins ou si les partenaires vivent ensemble avec un enfant commun (normes CSIAS 12/07 F.5-2; arrêt 8C_433/2009 du 12 février 2010 consid. 6.3). En droit des étrangers, il a été jugé qu’une durée de vie commune de 3 ans était insuffisante pour qu’un couple n’ayant ni projet de mariage ni enfant puisse voir considérer sa relation comme atteignant le degré de stabilité et d’intensité requis pour pouvoir être assimilée à une union conjugale et bénéficier de la protection prévue par l’art. 8 CEDH (arrêt 2C_97/2010 du 4 novembre 2010 consid. 3.3). L’art. 20a al. 1 let. a LPPsubordonne quant à lui le droit du concubin à des prestations pour survivants à une durée de communauté de vie ininterrompue d’au moins 5 ans avant le décès, la jurisprudence ayant toutefois tempéré cette exigence en précisant que l’existence d’une communauté domestique permanente ne constituait pas un élément nécessaire de la communauté de vie au sens du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 369 consid. 7.1 p. 370).

Il résulte de ce qui précède qu’on ne saurait retenir une durée prédéfinie, en deçà de laquelle un concubin se verrait automatiquement nier le droit à une indemnité pour tort moral. Si plusieurs années de vie commune sont certes un élément parlant en faveur d’une relation de concubinage stable, elles ne sont pas à elles seules décisives. Le juge doit au contraire procéder dans chaque cas à une appréciation de l’ensemble des circonstances de la vie commune afin d’en déterminer la qualité et si celle-ci peut être qualifiée de relation de concubinage stable, constituant une relation suffisamment étroite pour légitimer une indemnité pour tort moral.

B_368/2011 du 2 février 2012

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